Un général de l’armée congolaise sanctionné par les États-Unis et l’UE pour atteintes aux droits humains commercialise des permis forestiers illégaux dans les forêts de la RDC, lesquelles jouent un rôle crucial pour le climat, révèle Global Witness

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Un général de l’armée congolaise sanctionné par les États-Unis et l’UE pour atteintes aux droits humains commercialise des permis forestiers illégaux dans les forêts de la RDC, lesquelles jouent un rôle crucial pour le climat, révèle Global Witness

Un officier de l’armée congolaise notoire a commercialisé illégalement des permis d’exploitation forestière en République démocratique du Congo (RDC) à l’approche de l’élection présidentielle contestée à la fin de l’année dernière, révèle Global Witness aujourd’hui.

 

Le Général Gabriel Amisi Kumba (alias « Tango Four »), sanctionné par l’UE et les États-Unis pour avoir commis des atteintes aux droits humains, est une personnalité puissante en RDC et un proche allié de l’ancien président Joseph Kabila, ce qui soulève des préoccupations quant à la possibilité qu’il se soit servi de son influence pour contourner la loi en acquérant puis en revendant les permis forestiers.

La famille d’Amisi a obtenu cinq concessions forestières en juin 2018, ce qui constitue une violation du moratoire sur l’attribution de concessions forestières industrielles, en vigueur depuis plusieurs années en RDC, dont l’objectif est de protéger les forêts humides congolaises d’une grande biodiversité et critiques pour l’environnement.

Le ministre congolais de l’Environnement a confisqué ces permis sans préavis à d’autres sociétés forestières, avant de les transférer vers la société Maniema Union 2, qui appartient à la famille d’Amisi.

L’annulation des permis et leur affectation à Maniema Union 2 ont pris quatre jours. En quelques semaines, la famille d’Amisi avait revendu la société et ses permis à Lei Hua Zhang, un géant du bois chinois qui détient une grande société forestière entourée de mystère en RDC.

Peter Jones, responsable de campagne à Global Witness, a déclaré :

« Le Général Amisi, un puissant initié du régime de Kabila, semble avoir réussi à acquérir et à revendre des permis dans un temps record, alors que l’obtention de nouveaux permis était alors illégale. »

« Il est à craindre que des élites congolaises proches du pouvoir aient réussi à bafouer les réglementations environnementales afin de se faire de l’argent, ce qui pourrait avoir profité à des individus jouissant de relations dans le milieu politique, aux dépens des caisses de l’État congolais et des forêts du pays. Cela est d’autant plus inquiétant que l’élection congolaise controversée semble avoir donné lieu à un arrangement de coalition qui permet à Kabila, sans s’être présenté à l’élection, de conserver une très forte influence sur la politique de la RDC », a ajouté Peter Jones.

Ce n’est pas la première fois qu’Amisi se livre au commerce lucratif de ressources naturelles en RDC. Le général est accusé depuis longtemps (par l’ONU, entre autres) d’avoir participé à l’exploitation minière illégale et au commerce d’armes.

En outre, Amisi est impliqué depuis de nombreuses années dans plusieurs atteintes aux droits humains. Il a été sanctionné en 2016 par l’UE et les États-Unis au motif qu’il aurait supervisé les mesures répressives meurtrières de manifestations pro-démocratie à Kinshasa ; des citoyens congolais avaient manifesté contre les reports de l’élection présidentielle, au départ prévue pour 2016. Après ces événements et l’imposition de sanctions internationales, Amisi a été promu par Kabila.

Le règne de Kabila a été marqué par une mauvaise gestion et une corruption généralisées, notamment dans les secteurs congolais lucratifs du bois et de l’exploitation minière. La vitesse éclair à laquelle Amisi a acquis et revendu les permis forestiers constitue un exemple supplémentaire de l’incapacité à faire respecter le droit dans le secteur du bois et de l’opacité qui caractérise les transactions commerciales menées dans les forêts congolaises.

Preuves de l’opacité totale du secteur forestier

Lei Hua Zhang a acheté les permis d’Amisi à travers son acquisition de la société Maniema Union 2, détenue à l’époque par l’épouse et les enfants d’Amisi. Des documents d’entreprise indiquent que le général gérait plusieurs des actifs de ses enfants, ceux-ci étant trop jeunes pour s’en charger. Des documents que Global Witness a pu consulter montrent que l’épouse d’Amisi a continué de gérer les concessions forestières de Maniema Union 2 plusieurs mois après avoir cédé ses parts dans la société.

M. Zhang est le président de Wan Peng International, un conglomérat chinois de premier plan actif à travers l’Afrique et l’Asie dans les secteurs du bois, du ciment et du transport. Bien que Wan Peng semble disposer d’importantes opérations d’exploitation forestière et de négoce du bois en RDC, pratiquement aucune trace de la société n’apparaît dans les registres officiels relatifs au secteur du bois ou aux exportations de la RDC que Global Witness a consultés. La société affirme avoir acheté en 2015 1,09 million d’hectares de forêt vierge en RDC, mais les concessions n’apparaissent pas sur la carte en ligne des concessionnaires publiée par le ministère de l’Environnement.

Ses récentes activités dans la région indiquent que l'entreprise de M. Zhang, Wan Peng, n’a aucun scrupule à se lancer en affaires avec des individus jouissant de relations avec des personnalités politiques. Ainsi, en 2017, Wan Peng a racheté 80 % des parts de la société forestière Christelle SARL, détenue par Kelly Christelle Sassou Nguesso, fille de Denis Sassou Nguesso, le président de la République du Congo, pays voisin de la RDC.

« Les informations incomplètes dont nous disposons sur les opérations forestières de Wan Peng en RDC illustrent bien l’opacité de ce secteur au sens large », a remarqué Peter Jones. « Il est crucial que le secteur du bois congolais soit géré en toute transparence afin que les activités forestières menées dans l’une des forêts les plus importantes au monde pour la régulation du climat ne se poursuivent pas sans surveillance efficace, car les conséquences seraient dévastatrices. »

Ce que le ministère congolais de l’Environnement a dit, et ce qu’il doit faire désormais

Bien qu’il soit légalement tenu de le faire, le ministère congolais de l’Environnement n’a toujours pas publié d’informations sur les titulaires des permis des concessions associées à Maniema Union 2. Il n’a pas non plus publié en ligne de copie des contrats forestiers de Maniema Union 2. Cette opacité du secteur de l’exploitation forestière en RDC fait courir le risque que du bois récolté illégalement soit vendu sur le marché mondial, les acheteurs ne pouvant pas vérifier de manière indépendante qui sont les propriétaires des concessions d’où provient le bois qu’ils achètent, alors que cela constitue un facteur essentiel pour assurer une diligence raisonnable efficace en matière d’achats de bois. 

Le gouvernement de la RDC devrait immédiatement révoquer toutes les concessions attribuées en violation de son moratoire et publier tous les détails relatifs aux propriétaires de concessions et aux contrats. La communauté internationale qui octroie des fonds au ministère de l’Environnement de la RDC devrait veiller à ce que des initiatives de transparence soient bel et bien mises en œuvre par les institutions qu’elle finance. Les négociants internationaux en bois qui achètent du bois provenant de RDC doivent se livrer à un exercice de diligence raisonnable approfondie pour veiller à ne pas acheter de bois provenant de concessions attribuées dans l’illégalité ou liées à des individus visés par des sanctions.

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