Sénégal, Mamadou Diouf, ancien secrétaire général du SUDES et de la CSA « l’école publique est bien affectée »

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 Plus de 35 ans dans le mouvement syndical répartis entre la gestion du syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal (SUDES) et la Confédération des syndicats autonomes (CSA), Mamadou Diouf est un homme du sérail quand il s’agit des questions relatives à la vie syndicale, notamment dans le secteur de l’éducation.

Bien que l’école publique est affectée, dit-il, par une déperdition liée à plusieurs facteurs, Mamadou Diouf estime qu’une éducation de qualité pour tous passe par une construction des infrastructures adéquates et un personnel enseignant qualifié et en nombre suffisant. Pour le renforcement et la consolidation de l’unité syndicale, Mamadou Diouf fait savoir que «les plus représentatifs également devront faire preuve d’humilité et éviter toute pratique d’exclusion qui ne servirait qu’à entretenir des pôles de surenchères, étant entendu qu’aucun syndicat ou cadre de syndicats ne parviendra à gommer les autres de l’espace scolaire». 

Nous sortons d’une élection présidentielle. Pensez-vous que l’actuel président de la République, au regard de son bilan de 7 ans sur le système éducatif sénégalais, peut conduire une politique pour une éducation de qualité ?

Le problème pour un responsable syndical ne doit pas se poser en termes de capacité ou non du Président de la République élu, d e conduire une politique éducative de q u a l i t é . N o t r e responsabilité est plutôt d’être porteur d’un projet éducatif alternatif et d’œuvrer par notre engagement, notre capacité de réflexion et de mobilisation, à sa prise en charge effective en vue de sa mise en œuvre

L’école publique sénégalaise bat de l’aile depuis une décennie, en atteste les mauvais résultats enregistrés dans les évaluations nationales (Cfee, Bfm et Bac). Au-delà du déficit de quantum horaire, quels sont les autres facteurs explicatifs d’une telle situation ?

Il est clair que notre école publique est bien affectée. Il y a certes la question du quantum horaire, qu’on lie trop vite aux nombreuses grèves d’enseignants, d’élèves et étudiants. Mais sur ce plan il y a bien d’autres déperditions qui résultent de l’état même des infrastructures et équipements scolaires, de la gestion des personnels, et plus globalement de la gestion des relations professionnelles dans le secteur.

Ne sommes-nous pas en train de payer le prix des recrutements rapides d’enseignants en plus des constructions d’infrastructures pour répondre à la politique de scolarisation massive ?

L’objectif reste une éducation de qualité pour tous. Je ne vois pas comment on pourrait y parvenir sans construire des infrastructures adéquates, sans recruter un personnel enseignant qualifié et en nombre suffisant. Il est vrai qu’en un moment donné, on a recruté n’importe comment, et de telles erreurs se répercutent de manière durable sur l’ensemble du système. Des tentatives de rectifications sont en cours avec la suppression de la pratique du quota sécuritaire, le relèvement du niveau de recrutement et la durée de la formation. Il faut à mon avis saluer et encourager de telles mesures en poursuivant la concertation pour une amélioration continue de la formation et de la motivation des personnels à tous les niveaux. Il faut pour cela beaucoup d’ouverture de la part des autorités en charge du système et des syndicats d’enseignants et une forte implication des parents d’élèves et d’étudiants ainsi que tous les amis de l’école.

Vous avez joué un rôle dans la mise en place du G6, cadre unitaire des syndicats les plus représentatifs ? Ne pensez-vous pas que cette initiative de gérer ensemble les revendications est en train de s’effriter en atteste des préavis de grève déposés tous azimuts ?

A vrai dire, je n’ai pas joué de rôle particulier dans la mise en place du G6, bien que je salue toute tentative de regroupement des enseignants. J’ai plutôt œuvré pour l’unité des syndicats d’enseignants dans un espace fédérateur où chacun sait ce qu’il représente en réalité. Des élections de représentativité ont eu lieu dans le secteur de l’éducation. C’était une demande forte pour plus de lisibilité dans le secteur. Il s’agit dans les faits, d’assumer leurs résultats et d’en tirer des conséquences utiles pour la crédibilité du système. Pour cela, les moins représentatifs doivent redoubler d’efforts, déterminer leurs lacunes et travailler à les combler en vue de futures échéances. Les plus représentatifs également devront faire preuve d’humilité et éviter toute pratique d’exclusion qui ne servirait qu’à entretenir des pôles de surenchères, étant entendu qu’aucun syndicat ou cadre de syndicats ne parviendra à gommer les autres de l’espace scolaire.

Selon vous, partons-nous encore vers une année académique avec des perturbations?

Je préfère avoir une approche positive, et dire que je ne le souhaite pas. Tout dépendra évidemment de l’attitude des acteurs. La période électorale a été une période de pause, et d’ailleurs je salue l’attitude responsable des différents cadres syndicaux, car beaucoup parmi eux ont su faire la part des choses. Cela ne signifie pas, toutefois que les germes de conflit ont disparu. Tout dépendra de la manière dont les autorités scolaires et universitaires vont reprendre les choses en main

Quels sont les leviers sur lesquels on devra s’appuyer pour éviter toute perturbation ? Est-ce le respect total des accords ou revoir l’action syndicale ?

Les deux à la fois. Un Etat responsable doit s’évertuer à respecter ses engagements. Mais sans se voiler la face, notons qu’il y a des problèmes de fond (et de fonds) qui vont rejaillir parce que jusqu’ici, le Gouvernement peine à prendre le taureau par les cornes. Il s’agit de la question de l’équité salariale dans la Fonction publique. Elle restera une pomme de discorde aussi longtemps que les acteurs n’accepteront pas de mener autour de cette problématique, un débat à la fois responsable et courageux pour s’entendre sur ce qu’il y a lieu de faire, ce qui est faisable et ce qui ne le serait pas, et planifier une mise en œuvre consensuelle des accords retenus. A défaut, il faudra que le mouvement syndical travaille davantage à son renforcement par un élargissement et une consolidation de l’unité en son sein, mais aussi il faudra qu’il sache réinterroger ses formes et méthodes d’action.

source:: https://www.sudonline.sn/l-ecole-publique-est-bien-affectee_a_43259.html