Dr Jean Charles Biagui, enseignant chercheur en sciences politiques à l'ucad «la démarche du chef de l’état constitue un aveu d’échec des politiques publiques mises en œuvre depuis

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 Se prononçant sur les mesures annoncées par le chef de l’Etat, dans le cadre de la nouvelle dynamique «fast track», le Dr Jean Charles Biagui, Enseignant chercheur en Sciences politiques à l'Ucad, estime qu’il est « impossible de changer le visage du Sénégal sans des reformes d'ordre structurel». Mieux, déplorant la pléthore de ministres dans le gouvernement et dans le cabinet présidentiel, l’Enseignant chercheur en Sciences politiques à l'Ucad soutient qu’on est très loin des ruptures. 

 

L a réduction du train de vie de l’État est une exigence de bonne gouvernance dans un pays figurant parmi les plus pauvres de la planète. Ainsi, toutes les réformes visant une rationalisation des dépenses publiques vont certainement être positivement appréciées par l'opinion publique. Cela dit, il me semble que ce que vous appelez la nouvelle démarche du chef de l’État constitue un aveu d’échec des politiques publiques mises en œuvre depuis sept ans. Le pouvoir en place a eu l’opportunité pendant toute cette période de réduire considérablement le train de vie de l'administration. Malheureusement, très peu de mesures ont été prises, allant dans ce sens. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de penser à une nouvelle gouvernance ? Est-ce que la priorité n'est pas de commencer par supprimer toutes ces institutions improductives et budgétivores ? Ne faudrait-il pas d’abord sanctionner ceux qui, au sein du pouvoir, ont déjà été épinglés par certains corps de contrôle de l’État, pour malversations et autres détournements de deniers publics ?
 
En tout état de cause, la démarche du chef de l’État s'inscrit dans le cadre de mesurettes ou de réformettes. La réduction des charges de l’État, l'adoption d'un nouveau dispositif concernant les véhicules administratifs, la mise sur pied de nouvelles conditions d'octroi des passeports diplomatiques etc. vont dans le bons sens. Mais, il est impossible de changer le visage du Sénégal sans des reformes d'ordre structurel visant un remodelage des institutions en vue d'une gouvernance démocratique. À titre d'exemple, au moment où dans les démocraties contemporaines, tout est fait pour limiter la concentration de pouvoir au profit d'un seul individu, au Sénégal, on renforce la centralisation de l’État sous le prétexte que la suppression du poste de Premier ministre conduira à une meilleure efficacité de l'action publique. Contrairement au discours officiel de l’élite au pouvoir, nous savons que la suppression du poste de Premier ministre confortera l'accumulation excessive du pouvoir au niveau du président de la République. C'est vrai que les Premier ministres sénégalais ont très peu de marge de manœuvre. Ils ne sont que des exécutants. Il ne peut d'ailleurs pas en être autrement dans le contexte du régime présidentialiste sénégalais. Mais on aurait pu mettre davantage de contenu dans cette institution au lieu de choisir sa suppression pour des raisons qui ne nous convainquent point. En réalité, le concept de fast track suggéré pour le quinquennat qui commence sera bientôt apprécié au regard des faits. Mais, en vérité, le problème du Sénégal n'est pas que nous n'allons pas vite. Il est préférable d'ailleurs de faire comme la tortue, c'est à dire y aller lentement mais sûrement. Autrement dit, sur des bases solides. La problématique fondamentale c'est que nous sommes dans un système politique dans lequel les gouvernants rendent très peu de compte, les institutions politiques sont personnalisées et budgétivores, la société civile encore faible. Au lieu que les acteurs politiques se concentrent sur l'adoption de politiques publiques pertinentes en vue d'un développement endogène et autogéré, ils préfèrent s'inscrire dans des dynamiques politiques clientélistes dont l'objectif est l’accaparement des ressources nationales.
 
ACTES DE RUPTURES PAR RAPPORT A L’ANCIEN MODE DE GOUVERNANCE
 
 Si l'on s'en tient aux discours officiels et d'une manière générale à la communication gouvernementale des différents pouvoirs sénégalais, nous ne pouvons pas parler de rupture. Depuis au moins les politiques d'ajustement structurels des années 1980, la volonté de l’État de réduire la voilure sous le poids de la dette fait partie de la communication politique. En revanche, aucun gouvernement sénégalais n'a réussi depuis lors à mettre en œuvre des mesures concrètes pour limiter considérablement les dépenses de l’État. Au contraire, nous constatons une augmentation exorbitante du train de vie du secteur public depuis l’arrivée au pouvoir de Wade. Pour l'heure, ce sera au regard des faits que nous pourrons dire prochainement si la volonté du gouvernement actuel s'inscrit dans le cadre de ruptures dans la gouvernance. Déjà, la pléthore de ministres dans le gouvernement et dans le cabinet présidentiel montre qu’à ce niveau, la rupture n'est pas à l'ordre du jour. De même, la volonté d'accentuer la personnalisation et la centralisation du pouvoir dans le cadre de la suppression du poste de Premier ministre témoignent d'un certain continuum dans la conception de la gouvernance. Nous risquons d'avoir un système comparable à celui d’Abdou Diouf dans lequel l'autonomie et la capacité d'initiative des ministres est réduite a sa plus simple expression par le secrétariat général de la présidence de la République ».
 
NOUVELLE GOUVERNANCE ET PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT politique ET ECONOMIQUE
 
« Le processus de développement obéit à des dynamiques complexes et variés. Il ne dépend pas seulement de logiques internes. Il est aussi dépendant du contexte international, notamment des trajectoires de l’économie politique internationale. Il est vrai que réduire le train de vie de l’État, faire de la bonne gouvernance une exigence pour tous permet de mettre davantage de ressources au service de notre développement. Ces efforts seront vains si notre économie reste extravertie, si nous ne réussissons pas à conquérir une souveraineté monétaire et si nous continuons à adopter des stratégies de développement qui s'inscrivent dans le cercle vicieux de la dette et qui répondent surtout aux exigences des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds internationaux. Il est également impératif de dépersonnaliser l’État, d'avoir des politiques publiques adéquates en particulier dans des domaines hautement stratégiques comme l’éducation, la santé et l'emploi. Lorsque l’État favorise la privatisation de l’école et des structures de santé, lorsqu'il néglige les campagnes au profit des centres urbains, lorsqu'il n'est pas en mesure de proposer une politique industrielle, nous pouvons nous interroger sur sa capacité à s'inscrire dans des politiques de développement».