Ndoukhoura Peulh
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POLLUTION OLFACTIVE A NDOUKHOURA PEULH «Si l’Etat ne prend pas ses responsabilités, nous allons brûler l’usine»

Ça pue la révolte à Ndoukhoura Peulh 1 et 2 (communauté rurale de Yenn) où les populations des villages se plaignent de la pestilence dégagée par une usine de production de farine de poisson et une autre spécialisée dans l’étanchéité. L’Obs est descendu sur le terrain pour tâter le pouls de cette «bombe à retardement». 

PAR NDEYE FATOU SECK

Le voyage commence au croisement de Yenn. L’ambiance dans cette bourgade est morose. Maussade, mais pas totalement sinistre. Hameau soumis dans la région de Dakar, recroquevillé au bout de près de 30 km de route, le village de Ndoukhoura Peulh (communauté rurale de Yenn) offre en vue panoramique un surprenant état de délabrement qui contraste avec le charme du paysage. Route goudronnée bordée d’arbres à la végétation luxuriante, dos d’ânes grossiers, bitume arpenté de temps à autre par les taxis clandos qui avalent allègrement les kilomètres. En cette matinée de vendredi, le village de Ndoukhoura Peulh se tire lentement d’un difficile sommeil. Sur l’esplanade du village, sorte de grande cour commune, des enfants, qui torses nus, qui vêtus d’un simple maillot, courent derrière un ballon. Haletants et éreintés, ils s’amusent à taquiner le ballon rond sous le regard amusé d’un quintette de fillettes qui pouffent de rires, dans des mimiques comiques. Plus loin, sous l’ombre d’une véranda, le chef de village, Isma Bâ, égrène son chapelet en jetant des regards distraits à la marmaille qui s’amuse à ses côtés. La singularité de ce village frappe d’emblée le regard du visiteur. Ici, à l’exception de la mosquée tendue de vert et blanc et quelques maisonnées, toutes les autres concessions, construites en dur, séduisent avec leurs murs nus. Ici, point de trace de carrelage. Une grande étendue de sable battu laissant apparaître, par endroits, des traces d’humidité causées par la pluie, orne la cour. Les femmes, occupées à effectuer les tâches ménagères, jettent des coups d’œil inquisiteurs sur les nouveaux venus, avant de se remettre à l’œuvre. Trois (3) jeunes, négligemment affalés sur le tronc bas d’un végétal, se prélassent en attendant le petit-déjeuner. Un calme quasi monacal règne. Tout semble harmonieux dans ce village. Tout. Sauf cette odeur nauséabonde et suffocante qui happe le visiteur dès l’entrée du village. Indisposées, les populations qui peinent à se faire à cette puanteur, passent leur temps à se pincer les narines. Et à éructer de dégoût et de colère contre les miasmes putrides qui empestent leurs narines à longueur de journée. Les usines «Africa Feed» et «Industrab» sont désignées comme les coupables de cette pollution olfactive. Et c’est Mamadou Bâ, responsable du comité de lutte contre les usines de Ndoukhoura, qui décoche les premières flèches.

«Nos enfants souffrent de diarrhées, de vomissements et de démangeaisons»

Sur le pas d’une demeure ceinturée de briques nus, Mamadou, corpulence moyenne enveloppée dans une demi-saison immaculée, écouteurs fixés aux oreilles, dentition d’une blancheur éclatante, râle sec contre cette puanteur qui a fini de porter un sacré coup à leur santé. «Ces usines polluent outrageusement notre environnement. Il s’agit des usines «Industrab» spécialisé dans la fabrication d’étanchéité pour les maisons en période hivernale et «Africa Feed» qui fabrique de la farine de poisson à usage d’aliment pour le bétail. La situation est devenu invivable ici. Il est impossible de respirer de l’air pur dès que ces usines commencent à fonctionner. D’ailleurs, cela a poussé la mise sur pied de notre comité qui fait son possible pour inciter les autorités à réagir afin que ces usines déguerpissent de notre cadre de vie», lance-t-il dans un excès de rage qui a fini de planter les graines de la révolte. Des applaudissements nourris des villageois massés en petit comité autour de Mamadou fusent de partout. Une pile de feuilles à la main, il continue de plus belle, ragaillardi par les vivats de la foule : «Des rencontres ont été initiés entre le promoteur de l’usine «Industrab» qui est implantée ici depuis 2010, les populations et le commandant de la Brigade de Yenn pour solutionner le problème. Nous avons même rencontré la Direction de l’environnement et des établissements classés (Deec) du ministère de l’Environnement en 2011. Cette direction est venue une fois au village. Un expert a été requis pour faire l’état des lieux et voir s’il est possible éventuellement de procéder à quelques modifications comme l’augmentation de la hauteur des cheminées de l’usine et l’arrêt de certaines machines. Au début, les recommandations n’étaient pas respectées. Par la suite, le Commandant de la Brigade de Yenn a ordonné l’arrêt de l’usine jusqu’à nouvel ordre et le changement de certaines machines. Cette usine ne fonctionne que durant la période hivernale (à partir du mois d’août) et ce, pour 3 mois. Mais dès qu’elle reprend ses activités, impossible de trouver le sommeil de jour comme de nuit. Pour l’heure, «Industrab» est fermée jusqu’à nouvel ordre.» Une fermeture que les villageois veulent définitive. Et pour cause ! Dès son ouverture, le spectre des maladies répétitives commence à hanter les populations. Seynabou Bâ est presque soixantenaire. Cette maman et mamie de plusieurs enfants ne respire pas la zénitude. Elle a juste…59 ans, mais en paraît 70. Tellement son corps flasque contenu dans une tunique bleue est émoussé par le temps et son sourire contrit dissimule une bouche presque édentée. Doyenne de son village, elle en connaît un rayon sur le mal qui ronge leur Ndoukhoura. «Depuis l’implantation de ces usines, nous ne respirons plus la bonne santé. On vit les pires difficultés. Nous sommes pris en otage entre la puanteur d’«Industrab» sur le versant droite et la pestilence d’«Africa Feed» sur le versant gauche. Parfois, je plaisante avec les autres femmes en leur disant qu’il n’est pas nécessaire de mettre du poisson séché (guédj) dans nos plats. La puanteur que dégagent ces usines suffit à assaisonner nos plats (sic). Nous sommes tous sujets à des crises d’asthme. Les enfants souffrent de diarrhées persistantes, de vomissements et ils se sont tellement grattés qu’il est possible de voir leur chair écorchée à vif. Certains qui en ont les moyens ont tout simplement déménagé pour fuir cette atmosphère viciée», conclut-elle, quittant les lieux, sa petite-fille sur les talons.

«Ces usines sont pires que des armes chimiques»

Déménager, un luxe que ne peuvent se permettre la plupart des villageois de Ndoukhoura 1 et 2 qui vivent, pour la plupart, d’agriculture et d’élevage. Dans cette autre patelin, niché juste après le croisement de Yenn en allant vers Toubab Dialao, l’ambiance est presque la même, avec en arrière plan, cette sournoise odeur de pourri qui agace, dès son entrée, les narines du visiteur. Une route boisée d’arbustes et de jeunes pousses verdoyantes mène au domicile du chef de quartier, à l’entrée duquel flotte le drapeau national aux couleurs défraîchies. Yague Guèye est établi dans ce village depuis 1975. Dans son sous-vêtement rouge sur un pantalon marron, il accueille, au pas de sa porte, accompagné de sa fille Mariama, le petit comité dirigé par Hamath Kâne, notre guide du jour. A Ndoukhoura 1 comme à Ndoukhoura 2, les griefs et les maux sont similaires. Et les mots pour les traduire suintent une colère longtemps contenue. Mamadou Sow, 67 ans, commence sa tirade. «Pour savoir combien l’usine pourrit notre existence, il faut passer devant. Pas plus tard qu’avant-hier (jeudi), je suis passé devant avec des amis. J’étais en voiture. Par la suite, la voiture puait tellement que j’ai été obligé de la vaporiser  avec un parfum d’ambiance durant toute la journée», avance-t-il, faisant mine de se boucher les narines avec sa chemise. Il sera suivi dans son réquisitoire par Mariama Guèye, fille du chef de village et agent de Santé communautaire à la seule case de santé du village. Foulard bien noué sur la tête, engoncée dans un grand boubou multicolore, elle éructe de rage, la moutarde au nez : «A Ndoukhoura, nous manquons de tout. Ajouté à cela l’odeur nauséabonde que dégage en permanence cette usine, cela rend Ndoukhoura plus qu’invivable. Ces usines sont pires que des armes chimiques. Chaque jour, des nuées de mouches s’abattent sur le village et leur présence cause des maladies comme la diarrhée et les vomissements. Les petits ruminants meurent un à un. Nous déplorons surtout le fait que ces usines qui sont implantées ici n’embauchent pas les jeunes du village qui sont complètement désœuvrés et laissés à eux-mêmes. C’est infernal.» «Nous demandons aux autorités de prendre leurs responsabilités parce que nous voulons respirer de l’air frais. Nous ne voulons pas mourir de mort lente et nous ne comptons pas déménager d’ici parce que nous avons nos origines dans ces villages. On est prêt à tout et si rien n’est fait, nous allons brûler l’usine», termine Mamour Sow, sentencieux. En attendant, le soleil entame sereinement sa montée vers le zénith et Ndoukhoura amorce, le cœur gros, une nouvelle journée. Sous la puanteur.

ENCADRE  Ndoukhoura 1, un village qui manque de tout

Ndoukhoura 1 manque de tout. Dans ce patelin, coincé entre Toubab Dialao et Yenn, les femmes accouchent encore sur les routes. Car le village ne dispose que d’une…case de santé dont le personnel se compose d’une infirmière d’Etat, d’une matrone (Mariama Guèye), de 3 relais communautaires et de 2 «badjenou Gokh». Mariama Guèye, matrone à la case de santé, explique : «Le village ne dispose que d’une case de santé. Les femmes enceintes font leur visite médicale soit à Yenn ou à Diamniadio. Et parfois même, elles accouchent en cours de route. Nous souhaitons disposer d’un poste de santé qui prendra en charge les besoins médicaux des villageois.» Quid du volet scolaire ? Elle embraie : «Les enfants étudient à l’école primaire de Mbounka, village situé à 1,5 Km d’ici. Ils y vont à pied. Après leur Entrée en sixième, ils sont obligés d’aller soit à Yenn ou à Diamniadio pour poursuivre des études secondaires. La Coopération saoudienne nous avait offert un terrain pour y ériger un lycée, mais nous nous concertons pour voir quel usage sera fait du terrain.» 
 

LA PAROLE A LA DEFENSE…    Fabio Carrera, gérant d’«Africa Feed»

«Je ne souhaite causer du tort à personne»

Pouvez-vous nous présenter votre structure ?

«Africa Feed» est une société italienne implantée ici depuis 4 ans (construction et installation des machines) suivant un investissement de 2 milliards de FCfa. Mais, elle a commencé à fonctionner il y a 15 jours. Son but principal était de fournir de l’emploi aux jeunes de la localité. Nous travaillons avec des machines en respectant les normes internationales. Nous produisons de la farine de poisson qui est utilisée comme aliment de bétail. Cette farine est mélangée à des produits naturels qui sont riches en protéines pour l’animal. Il n’y a pas une goutte de produits toxiques. Nous revendons nos produits aux pays européens, parce que les Sénégalais préfèrent acheter leur aliment de bétail sur la plage. L’usine génère un bénéfice de 2 à 3 milliards par an. 

Les populations des villages de Ndoukhoura 1 et 2 disent que vous utilisez du poisson pourri et se plaignent de l’odeur pestilentielle dégagée par votre usine. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?

C’est faux ! Nous utilisons uniquement du poisson frais pêché par des pêcheurs que nous employons. Nous ne pouvons pas fabriquer la farine avec du poisson pourri puisqu’elle serait impropre à la consommation et donc invendable. Pour ce qui est de l’odeur, nous avons juste eu un souci de ce genre durant les phases test. Nous avions 30 tonnes de poisson qui sont été stockées ici pendant 4 à 5 jours, parce qu’il y avait une coupure de courant. C’est cela qui a dû provoquer l’odeur. Nous transformons le poisson uniquement et l’odeur n’est pas nocive.

Qu’est-ce qui certifie que l’odeur n’est pas nocive ?

Elle n’est pas nocive.

Pourtant l’odeur est insupportable au village ?

Elle est difficile à supporter dans l’usine, mais au-dehors, elle ne pose aucun problème.J’ai même demandé à la population de Yenn de venir faire leur réclamation, si toutefois l’odeur les dérange. Mais, je n’ai vu personne. Nous avons même installé une machine destinée à atténuer l’odeur dégagée par la transformation du poisson. D’ailleurs, dimanche, j’ai une réunion avec elles pour recueillir leur avis et si l’odeur est aussi pestilentielle, qu’elles le disent, je suis prêt à fermer l’usine. J’habite au Sénégal, j’y ai pris femme et j’ai même un enfant ici. Je ne souhaite causer du tort à personne et j’appuie la population comme je peux, lorsqu’elle a des manifestations dans le village. Si l’usine marche bien, nous sommes disposés à aider les populations en leur construisant une école ou autre chose.  

Les populations disent également que vous n’employez aucun jeune du village ?

Nous employons tous les jours six (6) journaliers qui sont rémunérés à raison de 3 000 FCfa en plus de femmes de ménage qui viennent du village. J’ai tous les documents attestant de ce que je dis. Il y a 15 personnes pour les embauches fixes et 6 postes de journaliers. Pour les embauches fixes, nous ne pouvons pas recruter des jeunes du village, parce qu’ils n’ont pas la qualification requise.

Que comptez-vous faire si elles exigent la fermeture de l’usine ?

J’accéderai à leur demande. C’est le village qui perdra.

source: http://www.gfm.sn/actualites/item/5354-pollution-olfactive-a-ndoukhoura-peulh-si-letat-ne-prend-pas-ses-responsabilites-nous-allons-brûler-lusine.html