Almadies
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Le quartier des Almadies est sans doute l’un des plus beaux secteurs résidentiels de la ville de Dakar. Mais il demeure celui des mille et un paradoxes à cause de la différence du niveau de vie de ses habitants. A côté des riches, on y trouve un lot d’individus qui sont en permanence confrontés à des problèmes de survie.


REPORTAGE : Almadies, les deux visages d’un quartier chic
L’opération d’élargissement de l’axe routier hôpital Abass Ndao-Aéroport Léopold Sédar Senghor, qui a commencé depuis quelques mois, cause beaucoup d’ennuis aux usagers de cette route. Les véhicules en provenance de Dakar pour rallier aux Almadies, Ngor, Yoff et environs roulent au ralenti à la hauteur des Mamelles surtout. Et ceux venant de Yoff et Patte d’Oie en partance pour Dakar font de même à partir du rond-point de Ngor. 

En ce début d’après-midi du 15 octobre 2010, le climat est loin d’être clément aux Almadies, malgré la proximité de la mer. Un calme plat règne dans les rues. On y croise que des véhicules particuliers. Même les taxis se font désirer, hormis ceux qu’on trouve devant les grands hôtels, guettant la sortie des touristes et autres. La première observation qu’on fait en circulant dans ce quartier est que devant chaque domicile, se trouve une sentinelle des différentes sociétés de gardiennage de la place. C’est le décor qui s’offre aux visiteurs. Ces derniers veillent au grain. Chaque jour, ceux qui sont côte à côte se regroupent, se cotisent et devisent autour du thé afin de vaincre le stress et les autres soucis qui les assaillent en permanence. 

Le quartier des Almadies est situé au nord-ouest de Dakar. Il est l’un des quartiers les plus huppés de la capitale sénégalaise. Beaucoup de nantis du pays y habitent. Une vie à double vitesse. Car pendant que la majorité des Sénégalais est tenaillée par les problèmes quotidiens et que d’autres font face aux inondations récurrentes, certains mènent une vie royale dans ce quartier. Mais aussi, les Almadies, c’est un carrefour aux mille et un paradoxes. A peine un pied hors du véhicule, qu’un gueux nous interpelle en ces termes : « grand, donnes-moi 100 francs Cfa ». A côté des riches vivent des gens dépourvus de moyens. Dans ce lot, on a des vigiles, des ouvriers, etc., qui logent pour la plupart dans des bâtiments en construction ou dans des baraques. Ces gens-là ne disposent de personne à Dakar. Ou alors, quand ils y ont des parents, ils préfèrent ne pas loger chez ces derniers évitant ainsi d’être une charge de plus à leurs hôtes. Issus de familles démunies, la plupart optent pour ces bâtiments en construction dont les propriétaires leur confient la surveillance pour éviter que ceux-ci deviennent des dépotoirs d’ordures. 

Compte tenu de la cherté de la location à Dakar, la plupart acceptent les propositions des propriétaires de ces bâtisses où la sécurité est quasi-inexistante. « On laisse tous les jours nos bagages ici (ndlr : dans le chantier) lorsqu’on se rend au travail alors que la maison n’est pas sécurisée. Comment faire ? », s’interroge un maçon, trouvé à côté du mur de l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar. « On ne peut pas se permettre de louer une chambre ou un appartement alors que nos revenus journaliers ou mensuels ne sont pas consistants. On préfère habiter ici malgré l’insécurité qui y prévaut », ajoute-t-il. Les lunettes noires fumées posées au-dessus du nez, ce vigile qui a lui aussi requis l’anonymat raconte son calvaire. 

Un perpétuel recommencement 

« Mon patron fait partie des plus riches du pays. Il ne me paie que des miettes. Il ne me donne qu’un seul repas par jour », se lamente-t-il, dépité. En plus de cela, les horaires de travail dépassent la norme des huit heures par jour. Il travaille tous les jours sans repos. 

« Les riches de ce quartier n’aident guère les pauvres qui s’y sont greffés par la force des choses », regrette Demba Thiaw, vigile. « Certains patrons passent à bord de leurs véhicules sans même vous saluer. A la fin du mois, ils vous balancent votre dû et disparaissent », regrette-t-il d’une triste voix. Le boutiquier Aliou Faye révèle que certains résidents du quartier avaient opposé un refus catégorique à l’installation de sa cantine en face de leurs domiciles sur une surface inoccupée. « Chaque jour, ils me menaient la vie dure. J’ai résisté. Mais j’ai fini par déplacer ma cantine à quelques mètres du lieu initial. C’est difficile de vivre avec eux », déplore-t-il. « Dans ce quartier, chacun pour soi, Dieu pour tous. Il est rare de voir des patrons qui assistent les démunis qui y vivent. La solidarité est aux abonnés absents dans ce quartier », lance-t-il. 

Ce couple qui habite près de la mer dans une maison en construction est confronté à un problème de survie. Le mari est vigile, la dame, femme de ménage. Tous les jours, la situation financière obligeant, ils se passent du repas de la mi-journée. C’est au retour du travail, tard dans l’après-midi que la femme prépare le déjeuner qui va aussi leur servir de dîner. C’est ce que les wolofs appellent le « Gobarjassi » (traduit littéralement par couteau et fourreau). « C’est difficile. La vie est dure », juge le mari. Mme Camara est, quant à elle, mère de six enfants dont trois filles. Elle vient récemment de déménager dans ce quartier et vit le même calvaire avec sa famille à l’image du couple précédent. Les circonstances qui les ont conduit ici sont émouvantes et difficiles à raconter. Une histoire familiale. Mais en digne femme, la dame s’en remet toujours au Seigneur et ne souhaite pas raconter les péripéties qui ont précipité son départ d’un quartier populaire de Dakar pour les Almadies. « C’est le destin. Personne ne peut s’échapper à cela. Dieu fait toujours de bonnes choses », philosophe-t-elle. Le mari est à la retraite. Chaque jour, la dame quitte son domicile et n’y revient qu’après 17 heures. 

La vie est un combat éternel 

« Je préfère demander l’aumône dans les quartiers populaires comme Ouakam, Ngor et autres, à pieds, que de le faire aux Almadies. Ici, les gens n’aident guère et leurs maisons sont toujours fermées », constate-t-elle, avec amertume. 

Accompagnée de ses enfants, ils font le porte-à-porte des domiciles pour demander de l’aide. « La vie est un combat éternel », ajoute la dame. Pour cette dame et ses enfants, chaque jour est un perpétuel recommencement. Souleymane Sy, boutiquier, a par contre eu la chance de connaitre des patrons compréhensibles. « Parfois, si je suis confronté à des difficultés et que je m’en ouvre à eux, ils me soutiennent financièrement », dit-il. Il en est de même pour M. Diallo qui s’est bien intégré dans le quartier. Sa forte conviction est que les Almadies est un Sénégal en miniature. On trouve des gens bien, des moins bons et d’autres qui ont un comportement déplorable. 

En attendant, les Almadies continuent de vivre avec ses paradoxes. Les riches mènent tranquillement leur vie sans se soucier qu’aux pieds de leurs immeubles vivent des gens qui font face tous les jours à d’énormes problèmes de survie. 

Un reportage de Souleymane Diam SY 
Source Le Soleil