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DESTRUCTION DE L’ECOSYSTEME DANS LES ILES DU SALOUM - La mangrove, une belle en danger

L'OBS - Réservoir immense en espèces végétales et animales, la mangrove est aujourd’hui un écosystème menacé par des actions humaines qui provoquent sa destruction et sa pollution. Reportage !

«Regarde cette digue, elle va bientôt s’affaisser, alors qu’elle n’a été construite que depuis quelques mois.

Les maçons nous avaient donné une garantie d’un an, mais c’est n’importe quoi», s’étrangle de rage un vieux assis à l’ombre d’un cocotier. «L’avancée de la mer sera beaucoup plus rapide, nous sommes vraiment sous la menace d’une inondation», ajoute-t-il, en pointant du doigt le large Bleu, séparé de leurs demeures par une digue mal-en-point. Comme s’il récitait une leçon apprise par chœur, il multiplie ses complaintes : «Les gens font ce qu’ils veulent, vous voyez ce qu’ils font de la mangrove, même s’il y a l’avancée de la mer, il y a aussi l’action de l’homme. Ils attaquent et détruisent l’écosystème, alors que nous devons protéger la mangrove.» Caractérisée par un sol vaseux au niveau des deltas, des rives des fleuves, des lagunes et des bords des mers, la mangrove est une forêt amphibie des côtes tropicales et subtropicales, un milieu périodiquement soumis à l’inondation des eaux saumâtres des marées. Ecosystème forestier, la mangrove longe les rebords de l’estuaire du Saloum.

 

«Les femmes sont inconscientes du danger qu’elle crée en utilisant les racines de la mangrove comme bois de chauffe»

 

De loin, de très loin, elle paraît belle, jeune et verdâtre. De près, de très près, elle apparaît défraîchie, perturbée, piétinée et souillée dans son intimité. Assis sur les bords de la mer de Niodior, une bourgade située à 140 km de Dakar en plus de la traversée en pirogue, le sol de la mangrove est constitué de vase littorale, un milieu souvent fortement sans oxygène. Ces feuilles en forme de palétuvier poussent vers le haut, au-dessus du niveau d'eau avec des racines maigres. Des racines qui font face, impuissantes, à l’effet dévastateur des populations qui entraînent un processus de dégradation avancé. «Les femmes utilisent les racines pour en faire du bois de chauffe pour la transformation du poisson fumé. Elles sont souvent inconscientes du danger qu’elles créent», explique Ibrahima Sarr, qui montre les racines de la mangrove, noircie par l’eau.

 

Droit dans sa tenue quelconque, il semble être un fin connaisseur. «Les hommes utilisent les racines pour la clôture des jardins et ils sont très réticents quand on leur explique le mal qu’ils font», se désole-t-il, en rinçant ses yeux, traversés par de grosses gouttes de sueur. Pêcheur à ses heures perdues, il est souvent témoin de l’attaque de la mangrove, de la destruction de cet écosystème ô combien important à ses yeux. «La mangrove est trop perturbée par ici. Il y a trop de laisser-aller. Les gens font ce qu’ils veulent. Certains  utilisent les racines pour en faire des maisons en paille, sans penser aux conséquences. Il faut que l’on sensibilise les gens sur le danger qu’ils encourent», insiste-t-il. En face de lui, des fagots constitués de racines de la mangrove attendent d’être récupérés. «Vous voyez ces tas, c’est l’œuvre de l’homme, la mer n’y est pour rien. Ils ne savent pas que la mangrove protège les côtes contre l’érosion.» Ces paroles sont justes, mais l’entêtement des populations est plus fort.

 

«La dégradation rapide de certaines mangroves est devenue préoccupante parce qu'elles constituent des stabilisateurs efficaces pour certaines zones côtières fragiles qui sont maintenant menacées», commente Adama Sy, assis sur une digue qui menace ruine. Il a vingt ans, mais il est conscient de la destruction de l’écosystème et des conséquences qu’elle entraîne. «Les mangroves sont menacées essentiellement par les constructions humaines. Les gens cherchent à gagner en espace sur la mer et les côtes. Tous ces villages risquent de disparaître si l’on n’y prend garde», jure-t-il, en tirant une pirogue. Jeune étudiant, préoccupé par le devenir de la mangrove, il liste, comme un défenseur de la nature, les facteurs de dégradation de «sa» mangrove. «La salinité, la sécheresse, la surexploitation des ressources, les activités hydro-agricoles (rizières), les activités touristiques agressives, le manque d’initiatives locales de protection, de conservation et de restauration favorisent le destruction de la mangrove.» Leçon sue !

 

Niche écologique pour certaines espèces de crustacées et de poissons

Niche écologique, la mangrove fournit des substances nutritives indispensables à certaines espèces de crustacées et de poissons (crevettes, huîtres...). Les conséquences de sa destruction sont connues des populations, mais très souvent, elles observent sans agir, sinon timidement. Adama Sy continue de se plaindre. «Cette sauvagerie humaine favorise le recul accentué de la végétation de la mangrove, la diminution sensible des ressources, la raréfaction du poisson et la destruction du tapis herbacé.» Son désarroi est tel qu’il lance un cri du cœur. «Il faut des actions hardies de restauration et de conservation, l’harmonisation des textes législatifs et réglementaires pour l’édification d’un recueil juridique propre à la mangrove.»

Mais la plus grande menace pour la mangrove est l’élevage des crevettes qui s'implante massivement en bord de mer. «Il n’y en pas par ici, mais il faut s’attendre à tout, les populations ne pensent qu’au profit qu’ils peuvent tirer de l’exploitation de la mangrove», lance dépitée Rokhaya Diop, qui s’apprête à rejoindre une autre île en pirogue. «De l’autre côté, on ne peut plus parler de mangrove, ce sont des racines mortes qui ornent le décor, il n’y a plus de feuilles. C’est vraiment désolant. Il y a aussi des activités de récolte de coquillages (arches et huitres), mais les gens ne le font pas avec la manière, ils font tout ce qui leur passe par la tête. La plupart d’entres eux ne sont pas alphabétisés», explique Rokhaya, en rehaussant son  blue jeans. 

Selon les derniers chiffres de la Fao (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) le recul  que cet écosystème est en train de prendre est inquiétant. En effet, la superficie mondiale des mangroves est passée de 18,8 millions d'hectares en 1980 à 15,2 millions en 2005, soit une perte de 3,6 millions d'hectares. Pour les experts de la Fao, les causes principales de la destruction de la mangrove sont la pression démographique élevée, la conversion à grande échelle des zones de mangrove pour la pisciculture, l'élevage des crevettes, l'agriculture, les infrastructures et le tourisme, aussi bien que la pollution et les phénomènes naturelles. Toujours selon la Fao, le continent africain n'est pas épargné par cette situation, il a subi une perte de 510 000 hectares depuis 1980. Pour Rokhaya, cela est dû à une construction anarchique sur les bords de la mer. «Ils n’ont pas pensé à l’avancée de la mer.»

Mais pour Omar Ndiaye, la situation est toute autre. «Il y a maintenant une commission de gestion des ressources», apprend-t-il. De jeunes bénévoles sont depuis quelques mois aux trousses des «bandits» qui détruisent l’écosystème. «Ils font des rondes pour attraper les gens qui volent les racines. Les amendes vont de 20 à 30 mille et parfois, cela peut aller jusqu’à 40 mille FCfa, cela dépend de la quantité avec laquelle, on a été arrêté», assure-t-il. A Niodior, il y a aussi les nombreux cocotiers plantés tout le long de la rive pour stopper l’avancée de la mer. «Notre île a un avantage par rapport aux autres. Là-bas, les populations vendent leur terres, alors que nous sommes un peu jaloux de nos avoirs.» La commission de gestion fait aussi du repiquage pour maintenir intacte la mangrove. «Cela n’est pas toujours facile. Il faut beaucoup plus de sensibilisation pour que les populations reviennent à la raison, car les bienfaits de la mangrove sont multiples. Mais la main de l’homme est parfois dévastatrice et devient une menace pour la mangrove et les populations vivantes des ressources de cette mangrove en pâtissent lourdement», affirme-t-il, l’air désespéré. Mais Omar est conscient qu’il n’y peut rien. «Le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur. Les populations ne pensent pas aux conséquences. Ils agissent sans réfléchir. Ce qui est lourd de danger et inquiétante pour la mangrove.» Une mangrove qui continue d’être piétinée par une population inconsciente, même si le Delta du Saloum a été classé «Réserve mondiale de la biosphère en 1981», puis son inscription au patrimoine mondiale de l’Unesco en 2011.

CODOU BADIANE (Envoyée spéciale à Niodior)

source: http://www.gfm.sn/actualites/item/5453-destruction-de-lecosysteme-dans-les-iles-du-saloum-la-mangrove-une-belle-en-danger.html