JUSTICE
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 L’indépendance de la justice, tant agitée au Sénégal, continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. La question continue d’être soulevée dans le milieu judiciaire. Hier, jeudi 28 décembre, lors du colloque organisé par l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) et qui avait pour thème «L’indépendance de la justice, état des lieux, et perspectives de réformes», les acteurs de la justice sont restés mitigés sur la question. Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, le président de l’Ums, Souleymane Teliko, le Premier président de la Cour suprême, Mamadou Badio Camara, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Mbaye Gueye et sont collègue Doudou Ndoye, porte-parole du barreau pour le colloque, ont tous eu des avis divergents sur la question. ISMAÏLA MADIOR FALL, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE : «On ne peut pas dire que la justice est beaucoup plus indépendante dans les pays voisins qu’au Sénégal, même si…»


 

«Quand on parle du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) on sait bien qu’elle n’a pas de modèle idéal. La composition du Conseil supérieur de la magistrature dépend souvent de la tradition juridique à laquelle nous nous s’appuyons. L’exemple Sénégalais de Conseil supérieur de la magistrature est intéressant, même s’il n’est pas parfait. On ne peut pas dire que la justice est beaucoup plus indépendante dans les pays voisins qu’au Sénégal, même si c’est le président de la République qui préside le Conseil supérieur de la magistrature. L’indicateur de performance de l’indépendance de la justice ne peut pas reposer sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Un fonctionnement qualitatif du Conseil supérieur de la magistrature peut être un gage d’indépendance.

Le président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature. Mais, dans la pratique, tout se fait en dehors de sa personne. C’est au niveau du ministère de la Justice, avec l’appui du secrétariat du conseil que les propositions de nomination faites au président de la République sont préparées. Et, lorsqu’elles sont préparées, il y a ce qu’on appelle une réunion du pré-Conseil supérieur de la magistrature qui est composé de tous les membres, à l’exception du président de la République.

Et, pour proposer des nominations, nous avons tenu qu’il y ait le maximum d’objectivités, que les critères soient les plus objectives possibles.  Le premier critère est l’ancienneté. Le second est la mobilité, le troisième est le besoin exprimé par le chef de parquet. Il y a aussi les demandes formulées par les magistrats qui est un critère de choix. L’indépendance de la justice ne vise rien d’autre qu’à obtenir un procès équitable et impartial; un procès dans lequel les justiciables ont la garantie que l’acte de juger sera seulement déterminé par les arguments du débat judiciaire qui sont appréciés alors en dehors de toute pression ou de tout préjugé.»
 
SOULEYMANE TELIKO, PRESIDENT DE L’UNION DES MAGISTRATS DU SENEGAL : «Il y a un sentiment général de tous les magistrats que les garanties prévues pour assurer une indépendance ne sont pas effectives dans la pratique»
 
«Au sortir de journées d’études que nous avons initiées dans tous les parquets, il y a un sentiment général de tous les magistrats que les garanties prévues pour assurer cette indépendance ne sont pas effectives dans la pratique. Il y a deux garanties majeures: une garantie fonctionnelle qu’on appelle le principe d’inamovibilité qui interdit d’affecter un juge sans son consentement et une garantie organique, c’est le Conseil supérieur de la magistrature dont nous estimons que le fonctionnement n’est pas satisfaisant. Ce que nous disons, de manière générale, la mission de tout Conseil supérieur, c’est de garantir le règne de la transparence dans la gestion de la carrière pour permettre une meilleure administration de la justice. Cette transparence, ça n’existe pas.
 
Comme sur tous les cieux, dame justice au Sénégal, en dépit de son âge avancé, et de ses cheveux grisonnants, continue à occuper une place de choix dans le cœur et l’esprit de nos concitoyens. La justice est un service public qui doit, à ce titre, répondre aux exigences de sérénité, d’efficacité et de qualité que les citoyens attendent d’elle. Mais, il ne faut pas perdre de vue, la justice est un pouvoir. Il trouve sa raison d’être et sa respectabilité que si elle s’assume comme entité indépendante. Indépendance vis-à-vis des pouvoirs occultes, religieux et confessionnels. Indépendance vis-à-vis, surtout, de celui du pouvoir qui est le plus porté à la tentation de le contrôler. Il s’agit du pouvoir exécutif.
 
Certains ont pris l’habitude de réduire la notion à une question de comportement personnel du juge. C’est une assertion qui a, certes, sa part de vérité. L’indépendance est, en partie, une affaire de valeur personnelle. On ne saurait, pour autant, réduire l’indépendance de la justice à l’esprit d’indépendance du juge.  Il ne faudrait pas, en effet, oublier que le magistrat n’est, après tout, qu’un agent de l’Etat. Un Etat qui peut être fort, oppresseur et parfois hostile à toute velléité d’indépendance.  Les magistrats qui ont décidé, au nom de la justice, de se conformer en toute circonstance à leur serment et à leur conscience doivent être protégés. Créer un environnement sain qui fasse la promotion du mérite, de l’intégrité, de la compétence, voilà la seule voie de salut pour une justice qui aspire à jouer son rôle dans la grande aventure à laquelle nous convient légitimement les autorités de ce pays, celle de l’émergence.
 
Depuis quelques temps, notre justice fait l’objet de critiques de plus en plus acerbes. Certes, c’est une lapalissade que d’affirmer que ces attaques ne nous font guère plaisir, aux acteurs judiciaire que nous sommes. C’est encore plus préoccupant lorsqu’on pense qu’il peut s’agir des prémices d’une rupture de confiance entre nos concitoyens et leur justice.»
 
ME MBAYE GUEYE, BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS   : «L’indépendance ne peut pas être appréciée seulement vis-à-vis du pouvoir exécutif ou politique»  
 «L’indépendance doit renvoyer à une approche mixte, en ce qu’elle requiert des garanties institutionnelles, mais aussi des postures individuelles qui engagent la responsabilité personnelle de l’acteur. Elle ne peut pas seulement être appréciée vis-à-vis du pouvoir exécutif ou politique, mais aussi au pouvoir économique et aux contraintes sociales. Méfions nous, d’ailleurs, des pressions du pouvoir économique. Car, pour beaucoup d’acteurs, le fait d’avoir céder à ces pressions constituent une faiblesse qui les empêchent de se prévaloir d’une indépendance. Pour être indépendant, le magistrat doit, outre des garanties institutionnelles qu’il faut instituer ou renforcer, être en posture de dire non aux sollicitations non conformes ou non légalisées, d’où qu’elles viennent.»
 
MAMADOU BADIO CAMARA, PREMIER PRESIDENT DE LA COUR SUPREME : «La justice ne peut pas être indépendante si ceux qui la rendent ne le sont pas»
 «La justice ne peut pas être indépendante si ceux qui l’a rendent ne le sont pas. Si l’indépendance est un droit proclamée et garantie par la Constitution, en vertu de la séparation des pouvoirs, c’est donc par l’effectivité de ce principe d’indépendance qu’il ne pourrait y avoir débat. Si l’indépendance est un droit, elle est aussi un devoir. Et, dans ce cas, ce n’est plus la justice en tant qu’institution qui est en cause, mais bien le juge en tant que femme ou homme faillible ou imparfait. La compétence, la diligence, l’impartialité, l’intégrité, la délicatesse, la réserve, relèvent des obligations statutaires du magistrat et permettent de rendre effectif le principe de l’indépendance du juge. Si on devait définir le juge indépendant, je pense qu’on pourrait retenir, par les éléments constitutifs de cette définition, la compétence, l’impartialité et l’intégrité.» 
 
ME DOUDOU NDOYE, AVOCAT : «Lorsque les Procureurs prennent des décisions, et que le juge se plie obligatoirement, y’a-t-il une indépendance du juge ?» 
 «La justice sénégalaise est indépendante. Elle l’est dans son principe. Les magistrats sont indépendants dans leur fonctionnement. Mais, beaucoup de lois qui existent aujourd’hui au Sénégal enlèvent cette indépendance. Il faudrait donc que nous nous attaquions à ces lois là pour que cette indépendance des magistrats reste et demeure. Il y a beaucoup de problèmes.

Par exemple, lorsque quelqu’un est poursuivi pour détournement de deniers publics, il n’a pas commis un délit. Il est présumé avoir commis des faits qui pourraient être qualifiés de délits par un juge. Et, le Procureur qui demande, par écrit, qu’il soit en prison, le juge d’instruction est obligé de le mettre en prison. Alors, sur une présomption qu’il y a des faits qui pourraient être délictuels, un juge est obligé de se plier et d’exécuter l’ordre du Procureur de la République. Et, ce Procureur dépend du ministre de la Justice, lequel dépend du président de la République. On ne peut pas mettre à genoux un juge sur des présomptions.
 
Il y a beaucoup d’autres lois. Si vous prenez la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), ce sont des magistrats qui jugent. Mais il est mis dans les lois de la Crei que toutes leurs décisions, lorsqu’il y a une enquête, une instruction, ne peuvent pas être frappées de pourvoi en Cassation ou d’Appel. Dans ce cas là, il y a une atteinte directe aux droits de la défense. Et, le juge ne peut rien faire d’autres que d’exécuter. Les obstacles à l’inefficacité de l’indépendance de la justice, il y en a beaucoup. Lorsque les Procureurs prennent des décisions, parce qu’ils pensent, parce qu’ils croient et que le juge se plie obligatoirement, est-ce qu’il y a une indépendance du juge ?

Le juge est celui qui protège nos libertés. Seul un juge doit pouvoir mettre quelqu’un en prison. Or, les Procureurs mettent des personnes en prison directement. Ils refusent que des prévenus sortent de prison quand ils font Appel. Et, le juge n’a rien d’autre à faire que de se plier. Si c’est la politique de l’Etat, cet Etat respecte-t-il ses citoyens en laissant à tous les Procureurs dispersés au Sénégal le droit de mettre qui ils veulent et n’importe quand en prison et de s’opposer à sa sortie ? Les Procureurs n’ont que le pouvoir. Ce sont eux qui exercent le pouvoir sur nos libertés.  Ce ne sont pas les juges.»
 
POLEMIQUE SUR LES BIENS RECOUVRES DANS LA TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS : La justice muette sur les 200 milliards de Mimi Touré
Interpellé hier, jeudi 28 décembre, sur le recouvrement supposé de 200 milliards de F Cfa dans la traque des biens dits mal acquis, les acteurs de la justice, ont préféré se taire sur la question. Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall dit n’avoir pas de commentaires à faire. 

Le président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), Souleymane Teliko, a lui aussi opté pour le mutisme. «Je ne peux pas répondre sur une question dont je ne sais pas les tenants et les aboutissants», a-t-il dit.

L’avocat Me Doudou Ndoye a lui aussi passé sous silence cette affaire. «Franchement, si je pouvais ne pas faire de commentaire sur ça, ce serait mieux pour moi et pour la République. Cette déclaration concernant le soi disant recouvrement de 200 milliards de F Cfa se trouve dans les limbes des discussions politiciennes. Et, par conséquent, en tant qu’homme de droit et techniciens de la justice et aussi compte tenu des responsabilités que je crois assumer sur le plan social et le plan moral, je voudrai me dispenser de discuter de ces questions là», a-t-il déclaré.

 

 

source:http://www.sudonline.sn/l-impossible-consensus-entre-acteurs-judiciaires_a_37696.html