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En croisant les communiqués respectivement publiés par le G 6 et par le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, les observateurs ont pris connaissance de la « paix des braves » entre l’Etat et les enseignants. Une « paix des braves » qui – quelque part et par certains aspects – a des allures et des couleurs de « paix des trouillards ». La peur et la panique étant largement partagées entre les deux camps. D’un côté, les sévères ponctions sur les salaires, l’imminente réquisition et le spectre affolant de la révocation ont refroidi les ardeurs de la COSYDEP. D’où l’appel émouvant mais catastrophé que Cheikh Mbow a lancé, quelques heures, avant l’audience décisive au Palais. De l’autre, un gouvernement, un Premier ministre et un Président de la république pris en étau entre une crise scolaire de plus en plus chronique et une crispation politique vouée à la durée.

 

 

Deux écueils que Macky Sall voit, note et mesure (avec frayeur) sur le chemin du second mandat tant désiré. La troisième dimension de la peur est matérialisée par l’irruption des élèves qui ont diffusé la chienlit dans les régions et entrainé la riposte logique de la Police, avec un lot de blessés chez les enfants et une montée de la colère chez les parents. En fait, les élèves – avides de cours et alarmés par la perspective réelle d’une année blanche – ont pris à revers le gouvernement et les enseignants, avant de les déborder violemment sur les flancs, en donnant à la crise de nouvelles proportions et, surtout, en lui octroyant un format triangulaire : Etat-Syndicats-Elèves. Bref, on a frôlé l’abîme ; puis tout le monde a retenu tout le monde sur la pente glissante. Il s’y ajoute que de nombreux médiateurs ont joué leur patiente et méthodique partition qui a permis de jeter une passerelle entre le raidissement du gouvernement et le jusqu’auboutisme des enseignants-grévistes.

 

La fin de la paralysie équivaut-elle à la sortie du tunnel dans lequel l’Education nationale s’affale, végète et se désagrège inexorablement ? Le doute est permis. Même si l’année peut être miraculeusement conjurée (l’année sera sûrement moins blanche mais assurément plus pâle), les conditions de l’armistice et l’état calamiteux du système scolaire confortent les interrogations et sèment les incertitudes. En effet, les contours de l’Accord masquent des difficultés et des incapacités à prendre le taureau par les cornes, en particulier, chez les décideurs qui ont beaucoup à apprendre dans l’art de négocier et la manière de céder. Exercice à l’issue duquel, les attributs régaliens de l’Etat (prestige, arbitrage, autorité et crédibilité) doivent être inentamés. A cet égard, les rudiments sont partout et toujours intangibles dans un bras de fer : céder avant d’avoir le couteau sur la gorge ; ou alors ne plus céder. Car, une concession tardive ressemble à une capitulation postérieure à une menace. D’où l’obligation de trouver à temps, le point d’équilibre entre une fermeté fatale et une souplesse coupable et aussi…fatale. Difficile de gouverner en temps de crise. N’est-ce pas ?

 

Derrière les affres de la longue paralysie du système scolaire, se dessinent quelques aubaines. L’occasion est ainsi donnée à la nation, de camper et de cogiter au chevet de son Ecole. Augmenter l’indemnité de logement et/ou revisiter le système de rémunération en vigueur dans la Fonction publique sont des palliatifs momentanément anesthésiques. C’est plutôt le remède de cheval qui s’impose. Une solution énergique qui, à l’instar des Etats Généraux de l’Education (EGE) des années 80, établit un long bail de calme et sérénité dans les espaces scolaire et universitaire. Rappelons que cette lucide trouvaille du Président Abdou Diouf fut expérimentée en marge d’une cascade d’ajustements structurels très limitatifs pour les dépenses de l’Etat, en particulier, et très coercitifs pour le budget, en général. Au demeurant, les Etats Généraux de l’Education avaient mobilisé plus de cerveaux phosphorescents et brassé plus d’idées novatrices que dégagé des milliards de francs à gogo. Une fois le champ bien balisé et le cap définitivement fixé, Abdou Diouf envoya successivement au charbon, les Professeurs Iba Der Thiam et Ibrahima Fall, en qualité de ministres.

 

En cette année 2019 (blanche ou pâle ?), le syllabus des impératifs commande un rapide aggiornamento, c’est-à-dire un sursaut plus fort qu’un sursaut. Si tout le génie politico-maléfique et toute l’énergie cérébrale déployés vers les réformes constitutionnelles, les modifications du Code électoral et les retouches affectant l’architecture institutionnelle de la démocratie, étaient transposés dans le domaine hautement névralgique de l’Education, le Sénégal aurait évacué efficacement et paisiblement évacué toutes les revendications. Mieux, il aurait atteint les crêtes de l’émergence via son système scolaire. Malheureusement, le tout-politique est hégémonique. La politique étant, aujourd’hui, l’ascenseur et le moule les plus socialement fructueux, payants et valorisants. Par voie de conséquence, Le Sénégal traine le pire des déficits : le déficit civique. Le manque d’amour pour la patrie et le manque d’amour pour l’Ecole sont évidemment indissociables.

 

Depuis l’alternance de mars 2000, le spectacle est invariable. Deux chefs d’Etat, deux chefs de Partis et deux amateurs de mandats au pluriel (Abdoulaye Wade et Macky Sall) qui ont manifestement plus de temps pour les militants, les intrigants et les transhumants que pour l’Ecole, l’Université et le corps professoral. Malgré les infrastructures dispatchées, en grand nombre, dans les zones rurales et les centaines de milliards dirigés sur le secteur de l’Education. Un désenclavement du savoir et une hausse du budget qui sont à leur actif. Et qui sont très, très appréciables. Toutefois, des contacts courants avec les enseignants de tous les ordres (en dehors des périodes de crise et des ultimes rounds de négociations) permettraient d’anticiper sur les crises qui naissent toujours et surgissent rarement. Donc prévisibles. Le Président Senghor (Roi non fainéant et homme d’Etat organisé à outrance) recevait dans sa bibliothèque, loin du cabinet présidentiel, ses collègues d’alors : le sociologue Louis-Vincent Thomas, le géographe Paul Pélissier (auteur d’un fabuleux ouvrage sur la Casamance), l’autre géographe, Assane Seck, et même le contempteur de son régime, le Professeur Fougeyrollas. Tous enseignants à l’Université de Dakar. Des contacts réguliers qui instruisent et informent le Président de la république davantage que les rapports ministériels et les bulletins de renseignement.

 

Faut-il chanter un hymne vibrant à la gloire de l’Ecole pour mieux sensibiliser le gouvernement et les syndicats d’enseignants sur la valeur et la mission de celle-ci, qui est à la pointe de tous les progrès ? L’économiste-historien Paul Kennedy explique les performances des dragons d’Asie (Singapour, Corée du Sud, Malaisie etc.) par la qualité de la formation et la démocratisation des enseignements. Comme on le voit fort bien, vaincre l’ignorance doit être le noyau dur de tous les programmes proposés par les 300 Partis politiques qui grouillent au Sénégal. Quand l’éducation est en baisse, la nation est en berne et l’avenir est dans les bas-fonds, et non sur les pitons du développement. Curieux pays (le Sénégal) où l’on trouve le gaz et perd l’école, c’est-à-dire le vivier des ingénieurs qui assurent l’exploitation, encadrent la production et fabriquent les gazoducs.

 

source:https://www.dakaractu.com/Laser-du-lundi-Quand-l-education-est-en-baisse-la-nation-est-en-berne-et-l-avenir-est-dans-les-bas-fonds-Par-Babacar_a151121.html