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Sous nos cieux, la naissance d’un enfant est une aventure purement féminine. Quand un réalisateur décide d’accompagner le processus de la naissance de son enfant aux côtés de son épouse, forcément le sujet est fort et rare. Dans le film Le Collier et la perle réalisé en 2009, Mamadou Sellou Diallo «veut prendre un peu de la douleur de sa femme». Avec sa caméra, il peint le corps de celle-ci en s’attardant sur les marques laissées par cette naissance. Pendant 52 minutes, il guide le spectateur dans ce monde de douleur et de souffrance que les femmes, consciemment ou inconsciemment, transmettent à leurs enfants. Le Collier et la perle était le vendredi dernier au programme du Cine Club de l’Association Baraka Global Art à la Maison des cultures urbaines de Ouakam (Mcu).

 

Un film sur la naissance, fait par un homme, c’est quand même assez particulier dans un pays où certains refusent même de franchir la porte d’une maternité ?
C’était un défi, une gageure peut-être. Je parlais du côté transgressif du film. Mais cela ne pouvait pas en être autrement parce qu’il s’agit de filmer aussi la douleur et de raconter à ma fille qui grandira et qui deviendra une femme. Je soupçonnais déjà cette transmission de ce devoir de violence, de cette souffrance du corps chez la femme et que les femmes transmettent aussi à leurs enfants. C’est notre société qui est un peu organisée comme ça.
Vous dites que vous avez voulu un peu prendre de la douleur de votre femme ?
C’est Samba Felix Ndiaye qui disait qu’il ne filmait que les gens qu’il aime. Quand on filme les gens qu’on aime, quand on filme une question de vie, on est forcement impliqué. Dans ce cas de figure, c’était plus ça. Implication parce que cette souffrance-là, j’en suis aussi responsable. Elle attend notre enfant. Du coup, cette implication-là n’est pas qu’une question théorique. Il y a forcément une manière de prendre la caméra, de s’intéresser à la personne et ça devient alors une question technique de distance. A quelle distance je suis de cette personne-là et qu’est-ce que je fais de cette distance ? La question cinématographique est une question éminemment humaine et philosophique.
Et là, quand vous regardez ce film aujourd’hui, quels sont les sentiments qui vous animent ?
Par rapport à l’actualité, on sent que ce n’est pas un film qui échappe à l’actualité. Et là, c’est intéressant parce que quand on fait un film qui échappe à l’actualité, qui filme véritablement une question humaine, une question de vie, ça sort de l’actualité et c’est pourquoi, quand on dit que le film est actuel, je le comprends. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est ce côté inachevé. Parce que le film est inachevé, parce que nos vies sont inachevées. Parce que la question que je pose sur la souffrance du corps, sur la souffrance des femmes, sur la transmission de cette souffrance, sur la souffrance qu’on impose aux femmes, ce n’est pas encore fini et on en discutera toujours. Quand on regarde le film, il y a le fait que la question n’est que posée. Peut-être qu’un prochain film, un film d’un autre auteur, creusera la question et l’abordera sous d’autres angles.
Cette inquiétude que vous aviez pour votre fille a-t-elle disparu 11 ans après ?
C’est ce dont je parlais quand j’évoquais ce goût d’inachevé. L’inquiétude est toujours là. On parle encore de viols, de violence contre les filles, de meurtres. C’est l’actualité. Quand on est père et qu’on a creusé la question pendant deux ans en faisant un film, en documentant, en allant voir des spécialistes de la question, en allant voir les centres sociaux où on prend en charge ces femmes, en allant voir des médecins qui s’occupent de réparer ces femmes psychologiquement ou physiquement, quand on a fait le tour de la question pendant deux ans, caméra au poing, on ne peut qu’être encore plus sensible à tout cela. On est dans une société violente.
Et cette violence, elle est justement dirigée contre les femmes puisqu’on leur apprend dès la naissance que souffrir est presque normal. Que c’est une fatalité et qu’une femme est née pour souffrir ?
Il y a quelque chose d’assez tragique dans l’éducation des filles. Et même chez les vieilles femmes, quand on en parle, c’est pour dire que les choses sont comme ça. C’est comme ça qu’il faut le prendre, c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. C’est comme ça et ça ne peut pas changer. Et ce sont les femmes qui transmettent cela, qui transmettent cette hiérarchie dans la famille où les hommes peuvent se reposer pendant que les femmes font la vaisselle, le linge, etc. Et qu’il faut apprendre aux filles à travailler, à souffrir pour être une bonne femme. Et l’homme, on lui apprend à être un homme, à être servi. Et peut-être que si la logique changeait un tout petit peu, il y aurait plus d’égalité dans les rapports. D’humanité plutôt, dans les rapports.
Justement, l’actualité, c’est ce rapport de Human rights watch (Hrw) qui alerte sur le danger qui guette les jeunes filles à l’école, ce que les enseignants réfutent alors que l’on sait que ce sont des choses qui existent bel et bien dans nos écoles. En fait, on est dans une société où, même quand une fille se fait violer, c’est elle qui est désignée comme coupable. Les hommes ne sont jamais responsables de rien ?
De toute façon, les enseignants n’ont absolument pas le droit de dire que c’est faux. La question est la, elle existe. Après, c’est de dire dans quelles proportions. Mais le fait il est là et il faut qu’on en discute. Parce que la réalité du viol est là. Parfois ce n’est même pas un viol avec le couteau à la gorge. Mais le fait d’imposer un pouvoir sur un élève, de le séduire, peut être considéré comme un viol, parce que le rapport de l’enseignant à l’élève, n’est absolument pas là. Si ça existe, c’est un rapport de prédation et il faut qu’on en parle. De toute façon, il me semble que même un cas de viol est grave, à plus forte raison une centaine, et nous autorise à en parler parce qu’il faut lutter contre. C’est de la violence.
Comme le disait quelqu’un, Le Collier et la perle est-ce un film pour les hommes ?
Un autre m’a dit que c’est un film très féminin. C’est un homme qui fait un film très féminin. Peut-être que c’est son côté très féminin qui parle. Je ne sais pas. Si on se place du point de vue de que fait ce film dans le travail de construction sociale, on peut se dire que c’est pour éduquer les gens. Quand on se place du point de vue purement émotionnel et artistique, on peut se dire que c’est un film fait par un homme sur les femmes, sur la sensibilité qui l’habite, un artiste qui a envie de figurer le corps de la femme comme on ferait d’un tableau ou comme on écrirait un poème.
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source: https://www.lequotidien.sn/horizon-sellou-diallo-enseignant-en-cinema-leducation-apprend-aux-femmes-a-souffrir/