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crise scolaire   Considérée comme l’une des meilleures sinon, la meilleure des inventions humaines, l’école publique, lieu de rencontres, d’apprentissage et d’échanges, n’est pas au mieux au Sénégal. Le paradoxe est que si dans les pays développées, elle est l’espace le plus propice à l’éducation des enfants et la formation des identités, à Dakar et dans nombre de villes sénégalaises, elle est comme inscrite dans une mort lente dans les parties où l’Etat lui-même avait décidé, depuis janvier 1997, de laisser sa gestion aux municipalités et régions.  Aujourd’hui, même situées au cœur du pôle économique de la capitale, (le Plateau), certaines vieilles écoles qui ont formé des générations cadres sénégalais, africains, français ou européens, n’ont plus d’avenir. Parmi elles, Fleurus, l’ex. école de la rue de Thiers, Libération, Klébert et encore…  

 

Un vaste champ de ruines. Le terme ne serait pas trop sévère pour caricaturer sur la situation terrible que vivent les écoles du centre ville à Dakar. A quoi ressemble aujourd’hui, l’école publique sénégalaise au moment où le mot le plus cher au président Macky Sall et son équipe, est l’émergence ? Des tas de ferrailles et de bois qui s’amoncellent derrière les classes, des toilettes sales et mal entretenus, des classes sans reflets, un maître démotivé au bord de la névrose, ajoutez à cela, l’absence d’effectifs que vous n’aurez pas fini la longue liste de la misère que vivent ces établissements publics.  

 

 
 
Dans le centre de Dakar, chaque école, au vu de son architecture, de la rue où elle a été érigée, a une histoire propre. Fleurus, Klébert, Libération, Thiers, même quand on a changé les noms ont gardé quelque part de mythes. Mais, que l’évolution d’aujourd’hui est dure à supporter quand on retourne aux fastes de la période coloniale, des premières années d’indépendance jusqu’à l’anonymat et presque la misère d’aujourd’hui. 1930-2016, certaines de ces écoles approchent de leur centenaire. Mais seront-elles encore des établissements quand cette date arrivera. Un jour peut-être, et pas loin, craignent certains enseignants, ce sont des tours et des immeubles qui prendront place ici ou reléguant, les questions de patrimoine au troisième voire quatrième plan. Dans tout le Sénégal, l’école publique est plus malade chaque jour. Ici à Dakar, elle compte, dans certains coins, le temps qui lui reste.
 
Terre d’exercice et d’apprentissage de la démocratie, l’école reste le lieu où l’on enseigne, apprend et s’exerce au principe du vote. D’où l’intérêt de les inscrire au patrimoine classé historique, mais aussi de les conserver et de les restaurer. Derrière les fastes d’un demi-siècle d’indépendance, les espaces publics, à commencer par l’école et les centres de santé sont ceux qui souffrent le plus ; n’en déplaise aux tenants de l’émergence…
 
Si le gouvernement de Wade peut se vanter d’avoir construit beaucoup de nouveaux établissements dans le pays, la question de l’entretien et de la restauration des plus vieilles parmi eux, pose un sérieux problème quand on a le temps d’aller visiter les vieilles classes qui ont accueilli beaucoup parmi les adultes d’aujourd’hui. Premier à avoir disparu de la carte des écoles de prestige, l’Ecole normale William Ponty de Sébikhotane. Enorme champ de ruines s’il en est. 
 
Jusqu’en 1932, l’école de la rue de Thiers, une des plus vieilles de Dakar était une prison qui recevait de petits malfaiteurs et des prisonniers de l’Afrique occidentale française. L’Ecole Thiers, aujourd’hui appelée, El Hadj Amadou Assane Ndoye ne ressemble plus à rien après avoir vu passer des générations d’écoliers depuis cette date. Sur la rue du même nom en plein cœur de Dakar, on voit marquer sur le mur, écrit en vert « Jardin botanique ». Aujourd’hui appelé Ecole El Hadj Amadou Assane Ndoye, l’espace fait grise mine.  
 
Austère, sans reflet pourtant dans un bâtiment témoin du Dakar des années glorieuses, c’est aujourd’hui, sorte de musée sans entretien qui fait face à la Banque Islamique du Sénégal. Ce vendredi après midi (29 avril), quand on entre par la petite porte de ce qui reste de l’endroit, le chant des oiseaux attiré par les arbres l’intérieur de l’école « perturbent et égayent » l’environnement très morose des lieux. C’est l’après midi ; et les élèves des six classes sont partis depuis 14 heures. 
 
Les traits de caractère d’un urbanisme à la française sont là campés avec des rues bien droites, des immeubles peints de la même couleur (ici le blanc et le blanc de lait). Ce devait être beau avant pour tous ces anciens élèves passés par cette école qui ne sait plus que faire de son étroit jardin potager. 
 
DE LA GRANDEUR D’HIER A LA TRISTESSE D’AUJOURD’HUI : D’anciens élèves racontent leur « part » de Thiers
 
Sur la page des « Copains d’avant », Christine Valierani, une française, mère de trois enfants qui vit aujourd’hui en Guyane, raconte. Elle est l’une des anciennes élèves de ce prestigieux établissement, dont le visage de jeune fille rappelle toute la splendeur de l’époque où elle a fait ses premiers pas d’écolière ici de 1959 à 1969. Christine se souvient,  « Nous étions trois : Henri, Patrick, et Christine Gatet, avons fréquenté tous trois cette école et avons quitté pour la Tunisie en 58», se souvent encore la dame qu’elle est devenue. Christine  Valierani de souligner que « L'institutrice qu’elle a vu sur la photo s'appelait Mme Barre et nous gardons également un très bon souvenir d'elle mes frères et moi.  Cette photo m'est familière mais je ne me souviens plus des noms... » 
 
Toujours sur la même page, Mina Diop Geunoune, aujourd’hui architecte, se souvient aussi de ses pas d’écolières, dans cet établissement. Avant de passer par une école d’architecture du coté de Paris, elle se rappelle de ses amis de classe de 1963 à 1969.  Une véritable page d’histoire qui reste gravée sur cette photo défraîchie de la classe de Cm1 en date de 1968, année mythique pour tout élève qui l’a vécu dans une école sénégalaise. Le Ceg Tolbiac sera un autre point de passage de cette mère de famille… Un autre nostalgique de cette période, Hyacinthe Diouf. Voilà ce qu’il écrit sur la photo de la classe de 5ème de la même école, « Que de beaux souvenirs avec Walid, Omaïs et surtout mon pote Hammoudy Farhat, le «Saï saï».  Nous sommes en 1967.
 
  Autre témoin, Phillipe Payen, passé par l’Ecole de la rue de Thiers, sur la même période. Aujourd’hui résident de Saint Ambroix en France, l’homme a fait l’armée de l’air française où il a été cadre technique jusqu’en 2010. Le nom de son institutrice Madame Barnabé est resté marqué dans sa mémoire. Djibril Sy, devenu photographe de presse et de média, n’a pas non plus oublié cette photo de la casse de 12ème prise en 1960 dans la petite cour sous le frangipanier ; ce témoin aussi d’ajouter, « Mon séjour à cette école était la plus belle période de ma vie, des souvenirs inoubliables. J’ai eu des amis d’enfance donc, je n’oublierais jamais leur nom et leur visage (Jean Marc Thibaut, Nabil Choucaire, Christiane Beary, Abdoulaye Thiam. »
 
Ainsi racontée, cette histoire qui semble si lointaine dans les mémoires a eu comme cadre l’école semble bien irréelle. Mais, qu’elle fut remplie de rencontres, d’échanges, de vie tout court…
 
EFFECTIFS REDUITS, DEMISSION DES PARENTS ET ENSEIGNANTS, ABSENCE DE L’ETAT… : La faillite des bons modèles après  cinquante ans d’indépendance
 
Images fortes et souvenirs d’un passé toujours de retour en mémoire, ces années bonheur et d’insouciance ne sont pas celles que l’on voit et vit aujourd’hui dans les écoles sénégalaises, fussent-elles du Plateau, de Pikine ou de Kaolack. Le décor morose et triste n’enchante ni l’enfant ni le parent d’élève qui veut y amener son rejeton. Le Maître aussi semble perdu. Le tableau noir reverdi au début des années 1970, a cédé la place à des salles de classes sans reflet, ni confort. Le maître comme le Directeur ne disposent que d’un petit réduit pour recevoir les parents… 
 
Dire que l’Etat a pour mission de rendre tout cela plus commode au lieu de vouloir rester l’otage d’enseignants qui ont aussi perdu leur langue pour l’enseignement, leur latin dans le discours, leur vocation pour tout le reste… Même situé dans une des parties les plus construites de Dakar, est devenue une école pauvre, presque sans âmes, sans élèves en nombre pour un total de 12 classes dont six seulement sont occupées. La Direction des constructions et des équipements scolaires de Dakar séparée d’elle par un mur, ne lui a été d’aucune forme d’utilité. Au milieu de ce qui ne ressemble presque plus à rien, un homme vit un peu sa misère dans le silence. Au premier étage où il loge, il regrette un peu le vide à l’intérieur duquel, rien ne semble plus pouvoir se construire. Ibrahima Kouta, 59 ans, est aujourd’hui directeur de l’école El Hadji Amadou Ndoye. Il est arrivé sur les lieux depuis l’année scolaire 2014-2015. 
 
Quand il quittait son école élémentaire des Parcelles assainies, l’ancien normalien passé par la grande école de Mbour, rêvait de finir une carrière d’enseignant dans de meilleures conditions. Des conditions autres que ce qu’il vit ici. Aujourd’hui, c’est avec une certaine dose de frustration qu’il rumine sa déception. L’école ne paie pas de mine et le mal, selon lui, est que «nous avons l’un des effectifs de l’éducation nationale le plus faible». Même classé au patrimoine historique, l’école a du mal à remplir ses six classes. 
 
«Or, nous avons 12 classes fonctionnelles et je vous signale que nous n’avons plus d’élèves venant des quartiers du Plateau. Tous les parents, à cause du manque d’ambition de l’Etat de faire de ces centres de grandes écoles, préfèrent envoyer leurs petits dans les écoles privées catholiques. Vous dire, que pendant longtemps, les grandes familles de cette zone, les Libanais,  comme les Français, les habitants comme les personnes qui travaillaient dans les environs, amenaient leurs enfants ici…»  « Aujourd’hui, face au manque de moyens, déplore, Ibrahima Kouta, il nous est impossible de faire cotiser un parent d’élèves pour la bonne marche de l’école. L’Etat nous l’interdit même et ne nous donne pas les moyens… On ne les voit même pas. » 
 
L’autre source du malaise est le gaspillage qui entoure cet espace. « Tous les laveurs de voitures des patrons qui travaillent à coté,  les passants, ajoute M. Kouta, viennent chercher de l’eau ici. Une fois la mairie m’avait interpellé sur la situation. Je leur ai fait comprendre que de 1960 à nos jours, l’’eau  été à la merci des populations. Vous ne pouvez me pousser à leur interdire de venir chercher cette eau ici alors qu’il n’y a pas une porte qui ferme. » 
 
Une misère sans nom dans les classes
 
Six classes, 142 élèves seulement, la plupart des personnes d’origine guinéenne, des enfants de la rue et de familles sans moyens qui squattent le plateau composent l’effectif de cette école qui a fait le bonheur de l’époque avant et après les indépendances. Aujourd’hui, déplore Ibrahima Kouta, « je ne me sens aucune motivation à vouloir réhabiliter cet établissement. Parce que même les enseignants qui sont sous ma responsabilité, en dehors du fait de donner des cours aux élèves, ne sentent aucune autre obligation pour redonner vie à cet établissement. La municipalité du Plateau ne nous apporte pas son aide comme promis. L’Etat, dont une des directions est adossée sur nos murs, encore moins. L’entretien est presque nul et vous voyez nous n’avons même pas de porte de sécurité. Et, poursuit Ibrahima Kouta, le pire est que les inscriptions annuelles que nous demandions aux parents pour chaque enfant ont été interdites… Si au moins, la Direction des équipements scolaires qui est adossée sur pouvait nous donner quelques photocopieuses qu’elle n’utilise plus, nous lui en serions bien reconnaissante… Mais, nous n’avons rien et la contribution des parents est devenue une véritable urgence.»
 
Entre tous les badauds et laveurs de voitures qui entrent dans les lieux ouvrant les robinets et se servant à gogo, Ibrahima Kouta se sent dans un espace nu à l’intérieur duquel aucune norme n’est imposée. « Personne ne gère notre sécurité, en dehors d’un vigile préposé nous informer de la visite des parents. Sans électricité, réduite dans cet espace, l’école Thiers, est en sursis. » 
 
Pourtant défendu selon son directeur par l’administration, sous le mandat du président Wade, son avenir suscite beaucoup de point d’interrogation. 
 
Le site intéresse les promoteurs immobiliers et même au sommet de l’Etat, certaines personnes.  Des rumeurs signalent d’ailleurs que l’espace serait déjà vendu… Même fort d’une inscription au Patrimoine classé historique. Ibrahima Kouta, impuissant, lance au clin d’œil au Président Macky Sall, pour sauver ce qui reste des grandes écoles du Plateau : (Ex.Thiers, Fleurus, Diaraf Falla Paye et nul doute Berthe Maubert, sauf que ce dernier établissement est celui des présidents de la République où ils votent à chaque élection.) 
 
A suivre
 
 
Dossier réalisé par Mame Aly KONTE
 
source: http://www.sudonline.sn/les-nouveaux-ghettos-de-l-ecole-publique_a_29748.html