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D’où proviennent les vents déstabilisateurs qui soufflent sur les braises fraichement couvertes d’une fine couche de cendres ? De tous les côtés, car le foyer toujours rougeoyant du Burkina partage un mur (de feu) mitoyen avec le brasier en expansion dans la région saharo-sahélienne qui est, à la fois,  le carrefour de toutes les visées, le terrain de toutes les collisions et le théâtre de toutes…les collusions. Il s’y ajoute le brusque déracinement du régime trentenaire de Blaise Compaoré qui induit de redoutables et domestiques détériorations. Bref, les feux du dehors et les frictions à l’intérieur, font un ménage d’enfer.  

 


A l’est, le Togo de Faure Eyadema a très tôt fortifié un cordon sanitaire pour enrayer toute contagion venant  de ce Burkina néo-sankariste dont le trio de sous-chefs radicaux (Salif Diallo, Isaac Zida et Chérif Sy) l’inquiète beaucoup. A Lomé, le pic de l’inquiétude a été vite atteint lors du putsch mouvementé du Général Gilbert Diendéré. Les paras-commandos de Lama Kara (région natale des Eyadema)  furent mis en état d’alerte et cantonnés sur le tarmac de l’aéroport, à l’ombre des avions de transport militaire. Au même moment, une conseillère spéciale très, très proche de Faure, Mme Rebecca Atayi, était au bout du fil avec le Général de gendarmerie, Djibril Bassolé, le plus célèbre candidat recalé à l’élection présidentielle du 29 novembre 2015. Cette conversation téléphonique-là (j’ai écouté l’enregistrement) est plus significative –  bien que codé dans le langage – que le dialogue Soro-Bassolé qui vaut des déboires au Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et dauphin constitutionnel d’Alassane Ouattara.   

Au sud, la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, hospitalière et suspecte terre d’accueil, abrite l’ancien Président et infatigable revanchard Blaise Compaoré confortablement installé dans une cossue villa appartenant au ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko. Or Blaise Compaoré n’est pas un Pascal Lissouba, intellectuel devant l’Eternel, capable de passer douze heures ininterrompues dans une bibliothèque. Bien au contraire. A Abidjan, Blaise est rejoint par des partisans irréductibles, c’est-à-dire les soldats perdus et déserteurs du défunt Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) que sont l’Adjudant-chef Nébié alias Rambo et le Sergent-chef Koussoubé dit le Touareg. Deux baroudeurs qui, à la veille du scrutin présidentiel au Faso, ont tenté de prendre d’assaut la Maison d’Arrêt et de Correction Militaire de Ouagadougou (MACA) où croupit le Général Diendéré. But de l’opération déjouée : élargissement, par la force, de l’ex-homme fort du Burkina. 

A l’ouest, le Burkina est bordé par un Mali militairement en lambeaux et chroniquement sous-administré. Par conséquent, toute la bande de l’Agacher (portion située dans la région de Mopti) reste un espace incontrôlé où les terroristes de toutes obédiences sont en perpétuel rodéo, avec leurs puissantes Toyota et leurs longue processions de motos. C’est précisément vers ces confins du Mali que trois gendarmes burkinabés – en service à la Brigade de Samorgouan – ont été froidement abattus, en octobre 2015. Comme quoi, les signes avant-coureurs d’une déstabilisation du Burkina démocratique et post-Blaise s’amoncellent. Tout comme les manœuvres de diversion préparatoires à la Restauration (retour non pas de Blaise mais à l’ordre blaisien) se multiplient. 

Au nord – les férus de géographie humaine le savent – le Burkina administre une poche de populations touaregs éparpillées dans les petites villes de Djibo, de Gorom-Gorom et de Dori  qui sont de véritables vases communicants avec les fractions nomades des régions malienne et nigérienne de Gao et de Tillabéry. Un peuplement touareg et une fenêtre sur le désert qui font du Burkina Faso, un membre fondateur du G5 Sahel. Un contact physique avec le Sahel où se déroule le bal – que dis-je – la sarabande ou danse endiablée des services secrets de Bamako, d’Alger, de Niamey, de Nouakchott, de Paris (la DGSE accompagne Barkhane) et de Ouagadougou à travers la structure de renseignement du RSP, avant la chute de Blaise. Un grenouillage tous azimuts qui fait le lit des coups tordus. Les membres du commando terroriste de l’Hôtel SPLENDID ne sont-ils pas arrivés à Ouagadougou à bord véhicules immatriculés au Niger ?    

« A force de caresser un cercle, il devient vicieux » avertissait Ionesco. Entre les agendas affichés et les dessous de cartes, les jeux de barbouzes (manipulations, contre-manipulations, infiltrations et/ou noyautages) au Nord-Mali frôlent dangereusement des plafonds insoupçonnés. Tout le monde est à « l’école algérienne » du Général Mohamed Mediène alias Toufik (longtemps patron du DRS) qui créa des Groupes Islamiques de l’Armée (GIA) pour combattre sournoisement les Groupes Islamiques Armés (GIA) issus des flancs du Front Islamique du Salut (FIS). D’où l’interrogation lancinante des observateurs et de la presse : qui tue qui, en Algérie ? Transposée au Sahel, cette question donne : qui tue qui, au Mali et au-delà du Mali ? 

La typologie des instruments, tous vecteurs d’insécurité réelle et de terrorisme potentiel est effarante. Le Mouvement National de Libération de l’Azawad ou MNLA est caporalisé et cajolé par la France qui en fait son cheval de Troie dans le désert et son auxiliaire pour l’érection de Kidal et son pourtour, en semi-Etat. Mais le grand morcellement du MNLA et ses contradictions tribales secrètent des électrons libres et disponibles pour toutes missions secrètes grassement payées. En face du MNLA se dresse le Groupe d’Autodéfense Touareg, Imgad et Alliés ou Arabes (GATIA) qui fait figure de milice téléguidée par la Sécurité d’Etat de Bamako. Son valeureux chef est le Général de brigade Aj Gamou. En marge du MNLA pro-français et du GATIA pro-gouvernemental, évolue le groupe d’obédience islamiste dénommé Ansar Dine (une dissidence du MNLA) présidé par Iyad Ag Ghali, lui-même, soutenu par Alger. Pour la petite histoire, l’épouse du djihadiste Iyad Ag Ghali, Madame Anna Walett Bicha vit dans une villa de la ville algérienne de Tamanrasset où elle est protégée par les hommes du Général Athmane Tartag dit Bachir nouveau chef du DRS. 

Dans un tel réservoir de condottiere ou condottieri, la sous-traitance de missions obscures, au Burkina Faso ou ailleurs,  devient un jeu d’enfants pour des commanditaires déterminés. C’est d’autant plus vrai que les raisons et les bénéficiaires sont légion. Depuis Abidjan, Paris et Cotonou, la nomenklatura exilée, fortunée et inconsolable du système Blaise (la belle-mère Alizéta Ouédraogo, le frère François Compaoré et les sous-officiers déserteurs du RSP en vadrouille) sont à la pointe de toutes les options chaotiques qui ouvrent le tombeau de la démocratie. Pour cela, la rébellion touarègue – désormais orpheline de Compaoré et nostalgique du sanctuaire doux de Ouagadougou – est disposée à renvoyer l’ascenseur à son ancien bienfaiteur vautré sur les bords de la Lagune. Le contact étant facilement  établi par le Mauritanien Limame Chaffi (réfugié à Marrakech) longtemps missi dominici de Blaise au Nord-Mali, pour des médiations libératrices d’otages occidentaux. Et pour bien maquiller le coup puis brouiller les pistes, il suffit de mixer le commando terroriste : un tiers de Touaregs, un tiers de radiés du RSP et un troisième formé de combattants des ex-Forces Nouvelles fidèles à Guillaume Soro. Ce dernier, très en colère, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la justice burkinabé 

Que faut-il alors penser de la revendication assez sonore d’Aqmi, de ses succursales et de ses satellites ? Sans être le  maitre d’œuvre de l’opération sanglante, Al Qaïda au Maghreb Islamique et ses dérivés ou annexes – Ansar Dine, Mujao et Front de Libération du Macina – lorgnent évidemment vers un Burkina fragilisé qui fait figure de proie territorialement intéressante pour des djihadistes dont les solides implantations sont bousculées voire effacées par le rouleau compresseur de l’opération Serval, elle-même, relayée par les actions aéromobiles et tournantes de Barkhane qui chevauchent une ligne allant de Kidal à la passe de Salvador. En clair, les affidés de Moktar Benmoktar et leurs émules de Bokko Haram  (avec ses réseaux dormants dans les villes de Maradi et Zinder) seraient heureux de faire du Burkina, un second Mali ; nonobstant l’influence indéniable de l’Eglise catholique au pays des Moro Naba. 

Voilà pourquoi, certaines chancelleries se battaient, l’an dernier, pour la sauvegarde du RSP commandé par le putschiste Général Gilbert Diendéré qui disposait d’une puissance de feu dissuasive et d’un service de renseignement organiquement soudé au Régiment. Le Burkina est décidément le pays où tout ce qu’il y avait de possible dans le passé, se mêle avec tout ce qu’il y a de possible dans le présent. 

PS : le Président du Mouvement de Libération de l’Azawad, Bilal Ag Chérif doit une fière chandelle au Président Blaise Compaoré. Ce sont les parachutistes burkinabés qui l’ont récupéré – grièvement blessé au combat par le Mujao – dans les faubourgs de Gao, en juillet 2012. Héliporté sur Ouagadougou, ensuite soigné dans une clinique haut de gamme, le chef du MNLA est, aujourd’hui, prêt à tout, pour renvoyer l’ascenseur à son sauveur infortuné

 

 

source: http://www.dakaractu.com/Laser-du-lundi-Les-braises-du-Burkina-et-le-brasier-du-Sahel-Par-Babacar-Justin-Ndiaye_a104377.html