Le chef de l'Etat a, encore une fois de plus, «fustigé le gaspillage dans les cérémonies». Par rapport aux cérémonies familiales, Macky Sall qui s’exprimait lors du séminaire de la coalition Bennoo Bokk Yaakar (BBY), tenu le week-end dernier à Dakar s’est offusqué du fait que «les Sénégalais ne travaillent pas assez et passent leur temps à faire la fête». Quoi de plus normal dans un pays où toutes les cérémonies sont des occasions pour… dépenser sans compter.
Dans nombre de bureaux et services, les hôpitaux, les écoles et universités, les entreprises publiques ou privées, etc., le constat est partout le même. Peu de secteurs de la vie active nationale échappent à l’absentéisme des travailleurs. Les alibis sont légion: dans la longue liste l’on peut citer, pêle-mêle, maladie, décès de proches, cérémonies familiale et religieuse.
Justement parlant de cérémonies, les baptêmes, mariages, retour de pèlerins de la Mecque, les communions, les confirmations et même les funérailles, entre autres, sont comme une épine aux pieds de Sénégalais. Et pour cause, beaucoup d’argent est dépensé lors de ces fêtes souvent inutilement pour du «m’as-tu vu». Ce qui fait que les tournures de ces fêtes familiales et religieuses, pour l’essentiel, heurtent des consciences et frisent l’insolence. C’est du … vrai gaspillage.
La loi 67-04 du 24 février 1967 règle le problème
Pourtant, dès le lendemain des indépendances, le Sénégal a semblé mesurer le phénomène à la hauteur des dégâts engendrés dans la société. En atteste, «la loi 67-04 du 24 février 1967 contre les gaspillages dans les cérémonies familiales et religieuses», publiée dans le Journal officiel de la République du Sénégal du 1er mars 1967. Elle devait régler définitivement le problème.
Même si elle doit être revue et réajustée au niveau de vie actuelle, cette loi instituée par l’ancien président poète, Léopold Sédar Senghor, – et qui n’a souffert d’aucune abrogation – réprime les dépenses démesurées dans les cérémonies familiales. Elle interdit toute forme de gaspillage. A titre d’exemple, la loi recommande notamment de ne pas dépasser un mouton et la somme de 10.000 F Cfa pour la célébration d’un baptême. Ce qui, à l’évidence, contribuerait à réduire leurs impacts dans les inégalités sociales et la paupérisation des faibles couches sociales, ces couches vulnérables qui sont, paradoxalement, le plus souvent attaché à ce style de gaspillage, quitte à s’endetter.
Seulement, la loi est là mais elle n’est jamais appliquée. Même si tout le monde ou presque condamne ce fait, mais personne n’y peut rien et ne fait rien. Et gare à celui qui osera enfreindre, le premier, cette «norme coûteuse», au risque d’être persécuté par le regard du voisin qui a déjà réussi sa «démonstration de force», et d'être la risée des autres. Conséquence, malgré les condamnations, dénonciations, aucun acte n’est posé allant dans le sens de mettre un terme à ces pratiques qui retardent l’envol des communautés et du pays.
Bousiller toutes ses économies, et après…
Les nombreux appels des autorités politiques comme les prêches et autres homélies des chefs religieux musulmans et catholiques, les vendredis et dimanches et lors des grands événements, invitant les Sénégalais à renoncer de telles pratiques tout en persévérant dans le travail, n’y feront rien. Les économies de plusieurs mois, voire années, de labeur sont bousillées le temps d’une après-midi de noces, rien que pour les beaux yeux de l’autre. Et après…?
Faute de volonté politique de réhabiliter la loi et l’adapter au contexte actuel, les autorités peuvent se contenter de lancer des bouts de phrase, chaque fois que de besoin, invitant les populations au travail et à renoncer au gaspillage dans les cérémonies. Et la dernière sortie du président de la République n’en est pas une première. En effet, il y a quelques mois, Macky Sall, de retour de Chine et de la réunion du Groupe consultatif de Paris, avait réitéré cette invite aux Sénégalais. D’ailleurs, en juillet 2012, le régime actuel avait émis le souhait de mettre sur pied un organe chargé de lutter contre le gaspillage. L’annonce avait été faite par le chef de l’Etat, Macky Sall, aux Sénégalais résidant en France qu’il avait rencontrée, lors de sa visite dans ce pays.
Mieux, les autorités actuelles avaient également brandi une proposition de loi pour l'interdiction du parrainage des cérémonies par les députés, ministres et autres directeurs de société nationales. Et, le vendredi 31 mai 2013, le Réseau des jeunes parlementaires devait introduire une proposition de loi interdisant aux ministres, députés et directeurs de société de parrainer des manifestations comme les soirées de gala et les combats de lutte, avait annoncé Moustapha Diakhaté, le président du groupe parlementaire BBY lors de leur rencontre avec la ministre de la Justice d’alors.
Des vœux pieux
Selon Moustapha Diakhaté, le président du groupe parlementaire BBY, on ne peut pas vouloir une gouvernance vertueuse et tolérer ce genre d’actes. «Nous voulons de nouveaux types de politiciens mais pas des prédateurs», avait-il déclaré. Aussi avait-il «décréter» la fin du gaspillage dans les soirées où de fortes sommes d’argent sont distribuées. Mais jusqu’à présent, les Sénégalais attendent encore la concrétisation de ces vœux.
Pis, lors de la célébration de l’an cinq de l’Alliance pour la République (APR), formation politique du chef de l’Etat, Moustapha Cissé Lô, alors Premier vice-président de l’Assemblée nationale, s’était levé pour distribuer des liasses de billets de banque aux laudateurs. Une scène choquante, immortalisée par les caméras de télévision même si il a au finish été tancé par Macky Sall après la manifestation.
En attendant, le gaspillage continue de plus belle. Cela est d’autant plus réelle que des griots et autres laudateurs, non contents de la réapparition des billets de 500 F Cfa, n’hésitent pas, chaque fois que l’occasion se présente, de demander, à voix basse, ou à travers des émissions people, le retrait de la coupure de 500 F Cfa de la circulation parce que, soutiennent-ils, «On ne nous offre désormais que ça lors des cérémonies». C’est le comble !
Auparavant, dès juillet 2004, Mme Aïda Mbodji, alors ministre de la Famille et des Organisations féminines, avait dénoncé le fait que «ce phénomène de gaspillage entraîne un cercle vicieux. (…) Nous ne pouvons pas occulter la solidarité que nos ancêtres avaient voulu faire prévaloir», mais elle s’est dit «entièrement d’accord pour qu’on essaie de réhabiliter la loi 67-04 du 24 février 1967 qu’on peut améliorer avec la réflexion de toutes les femmes», avait-elle émis non sans relever que «dans ce qui se passe actuellement, il y a la responsabilité des hommes».
Et Aïda Mbodji de souligner que la «presse aussi a un rôle à jouer parce qu'elle a adopté un statut de veille et d’alerte pour dénoncer certains gaspillages chez les femmes leaders». Car, avait-elle poursuivi, «le gaspillage, c’est à notre niveau, nous qui sommes à des stations où on peut gaspiller assez d’argent en le distribuant», a-t-elle noté.
De même, après avoir annoncé la révision de la loi sur le gaspillage le 15 novembre 2009, devant les députés lors de l’examen du projet de budget de sont département, Mme Ndèye Khady Diop, alors ministre en charge de la Famille est revenue à la charge deux ans plus tard. Le 05 avril 2011, dans le cadre des préparatifs de la 29ème édition de la quinzaine nationale de la femme lancée le 14 avril, elle avait renouvelé le vœu, suggérant un plafonnement de la dot par le législateur.
Et d’appeler ses collègues et l’ensemble des autorités étatiques «à mettre un terme à la dilapidation des ressources pour donner un exemple à l’ensemble des femmes du Sénégal». En ce sens que «les ministres, les députés, les sénatrices, les membres du Conseil économique et social sont généralement pointées du doigt comme les championnes en gaspillage». Et, il était attendu des femmes participantes à cette quinzaine nationale (de la femme) des propositions de solution contre le gaspillage de l’électricité, de l’eau mais surtout dans les cérémonies familiales avec l’adoption des bonnes pratiques notées ailleurs en perspective de «la révision de la loi sur le gaspillage». En vain.
La liste énumérative des volontés exprimées des gouvernants pour mettre fin au gaspillage est loin d’être exhaustive. Donc, plus que des déclarations d’intention, l’heure est aux actes, tant le mal est profond. Et face aux dérives qui en découlent, c’est à se demander si tout le monde n’est pas coupable de complicité d’entretenir le gaspillage?
source: http://www.sudonline.sn/tous-complices-_a_21291.html