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iGFM- (Dakar) iGFM vous propose la communication de M. Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste (PS) sur le thème : « l’Afrique, nouveau continent de la mondialisation ? » à l’Université d’été du Partis socialiste français, tenu à la Rochelle, les 29, 30 et 31 août 2014.

 

  1. « L’Afrique et la Mondialisation 

 

Le projet d’une intégration progressive et expansive des différents territoires du monde n’a pas épargné le continent africain. L’Afrique fut confrontée à l’ouverture du monde. Pendant que l’Europe organise la diffusion agricole sur la base d’un regain démographique et que l’Asie développe la riziculture inondée, l’Afrique elle, assiste, à travers l’expansion bantoue, à la naissance du mil et de l’igname, pendant que la reprise agropastorale et les expansions nomades se fondent sur des interconnexions transcontinentales.

Entre le Xe au XIVe siècle, l’Europe se peuple, s’urbanise, et commerce. Le IXe siècle vit une crue d’hommes et de vaches grasses qui atteint son apogée au XIIe siècle, avant de s’achever à la fin du XIIIe siècle. De quarante millions, l’Europe passe à plus de soixante millions d’habitants. Elle défriche aussi. La productivité s’améliore grâce à la généralisation de la charrue, un perfectionnement de la traction animale, et la baisse des températures moyennes.

Le continent africain ne restera pas en marge de ce Moyen-Age européen ; il vit la gloire du Bilad es Sudan, Pays des Noirs. Djénné, ville soudanaise typique de l’ouest africain médiéval, reçut le titre de « Venise soudanaise ». Mêlant faits commerciaux et faits urbains. Djénné est à la fois un carrefour des routes menant vers les pays de la cola, un port d’embarquement pour les produits destinés à Tombouctou et, enfin, un port de rupture de charge pour des produits tels que le sel en barres. Au cœur des cours princières et des grands courants d’échanges, les villes soudanaises comme Awdaghost se développent et accueillent déjà, dès le XIe siècle, des ressortissants étrangers arabes et juifs.

D’autres villes rayonnent autant : sur la route du Mali, Walta habite le récit de l’historien Ibn Battuta. Ghana et Tombouctou ne seront pas en reste. Le plus remarquable fait cosmopolite de ce Moyen Age constitue l’unification, sur fond de commerce, du Maghreb, de la Méditerranée, et de l’Afrique de l’Ouest, en une « économie-monde » complexe dont le souffle sera asphyxié par l’arrivée et l’installation des Européens sur les côtes africaines.

Malgré ces mouvements, il n’existe pas encore, vers 1500, de système mondial. Trop d’humanité s’ignorent. Les échanges de biens et d’informations sont handicapés par la longue distance (90% des productions sont consommées sur place, pendant que 1% seulement des productions est échangé à longue distance, dans le cadre des grandes formations territoriales autocentrées). Les diffusions les plus significatives sont confinées aux systèmes de croyance. L’ancien monde n’a ni la fermeté, ni la continuité d’une économie mondiale.

A partir du XVIe siècle une rupture s’engage. La « maritimisation » des espaces commerce. Avec elle, une « protohistoire » aussi. Elle est décisive.

Dès le 15ème siècle, les européens se lancent vers la route dite des « épices ». La notion englobe des produits exotiques dont la culture ne pouvait pas être supportée par les rigueurs climatiques de l’Europe. Ces épices, essentiellement poivre, girofle, muscade et cannelle, participaient de la pharmacopée occidentale et étaient utilisées à la fois pour des usages culinaires et thérapeutiques. Cette quête des épices a été un stimulant aux aventures lointaines à la mesure des importants enjeux financiers qu’elles suscitaient jusqu’à la découverte du sucre par les européens.

Avant le 13ème siècle, très peu d’européens connaissent le sucre de canne. La connaissance occidentale du sucre se limitait aux fruits et au miel. Petit à petit le sucre entre dans la consommation et modifient progressivement les habitudes alimentaires. De denrée précieuse, elle passe à la consommation de masse avec cette contrainte malheureuse que la culture de ce « roseau qui donne du miel », comme l’appelait Alexandre le Grand ne supporte pas une température basse.

Commence alors la conquête du monde à la recherche de sols et de mains d’œuvre pouvant supporter les exigences de la culture de la canne à sucre.

Les Amérindiens d’abord, les Africains ensuite, constituent les premières victimes de cette forme inaugurale de la mondialisation symbolisée par l’hémorragie d’une émigration forcée. De la recherche des épices on passe à l’exploitation de ressources humaines noires.

Charles Quint dès 1518 donne l’autorisation d’importer dans les colonies espagnoles des esclaves africains « en raison de leur résistance au climat tropical ». En 1600, une des plus importantes plantations du Nord Est du Brésil produit en moyenne 16000 tonnes de sucre et centralise plus de 70% d’ouvriers noirs.

La traite négrière intègre l’Afrique subsaharienne dans le système Monde émergent et devient très rapidement une affaire d’Etat : Espagne France Hollande, etc. précipitent le continent comme périphérie, dans une mondialisation où les centres constituent les pôles de création et d’accumulation de richesses.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le projet d’un système mondial s’affirme et s’élabore au-delà des liens locaux. Il est affirmé par les conquêtes maritimes : Christophe Colomb aux Antilles, Vasco de Gama en Afrique, Cabral au Brésil ; Magellan fait le tour du monde, le Pacifique sud est reconnu pendant que se déroulent les explorations polaires.

Débarquement et colonisation se succèdent, une « économie–monde » naît autour de Lisbonne, Séville, et travaille sur les routes orientales et occidentales des Indes. Les premières formes d’internationalisation des capitaux apparaissent avec l’afflux en Europe des trésors américains, entre 1500 et 1580. Séville en est l’illustration. Les cargaisons chargées de métaux du nouveau monde arrivent : 1601 et 1610, le volume moyen des échanges triple. Dans cette cité, au beau milieu du XVIe siècle, où la Maison du Commerce officialise le pillage du nouveau monde, où les commerçants s’organisent en Consulat en 1543, des centaines d’ouvriers frappent les pièces d’or et d’argent, pour les convertir en moyens de transaction. Dans cet Eldorado, la population connaît un boom et fournit déjà le lumpenprolétariat que les peintures de Murillo ont immortalisé.

Quatre siècles après, l’Afrique donne la sensation de vivre ce capitalisme triomphant en devenant un des centres de la mondialisation. D’une structuration simple en quelques rares centres qui polarisent autour d’eux plusieurs périphéries, le Monde passe à une structuration en réseaux de plusieurs centres-périphéries ; laissant au sein du continent africain – ancienne périphérie- la possibilité d’abriter de nouveaux centres d’accumulation et de création de richesses.

Les modalités de participation de l’Afrique à la mondialisation semblent offrir de nouveaux visages. La possibilité de participer à la mondialisation autrement que comme périphérie est réelle, mettant ainsi fin à l’afro pessimisme.

 

II – L’Afrique : Territoire de prédilection de la mondialisation 

Le potentiel de participation à la mondialisation du continent africain résulte d’abord des possibilités d’élargissement du mode production capitaliste. 60% des terres arables se trouvent en Afrique avec un potentiel de croissance de la production agricole de 280 milliards par an aujourd’hui à 880 milliards de dollars à l’horizon 2030. Des pays africains ont commencé à louer leurs terres à des capitalistes venus d’autres horizons pour y développer l’agriculture. Les contraintes à la reproduction élargie du système capitaliste mondial sont aménagées par le défrichement des terres du continent africain.

Plus de production pour plus d’hommes à nourrir. Les dépenses de consommation passeront de 860 milliards de dollars aujourd’hui à1400 mille milliards en 2020. Le PIB africain passerait dans le même temps de 1600 milliards en 2008 à 2600 milliards de dollars en 2020. La force de travail africaine, composante indispensable des forces productives passera à 1.1 milliards personnes en 2040.

L’urbanisation, indice irréfutable d’un capitalisme en expansion s’accélère. Plus de la moitié des africains vivront dans des villes en 2030 ; et le continent compte déjà plus de 52 villes de plus de 1million d’habitants. L’accumulation se poursuit avec les grandes firmes africaines dont une vingtaine font un chiffre d’affaires de plus de 3 milliards de dollars.

Ces performances économiques estimées pour un court horizon ne proviennent pas seulement d’une exploitation de ressources. L’environnement des affaires et de la politique est de nature à favoriser l’émergence d’institutions fortes et de conditions macroéconomiques favorables à une croissance à long terme.

La mondialisation du continent sera aussi favorisée par des phénomènes externes tels que la compétition autour des matières premières, la concurrence pour les meilleurs placements de capitaux et les nouveaux partenariats impliquant des investisseurs étrangers. Les dynamiques sociales, internes, la démographie, la croissance de la force de travail, l’urbanisation et la montée d’une classe moyenne sont de nature à conforter les bases de la mondialisation.

Quatre groupes d’industries secteur de la consommation, commerce de détail, les infrastructures et les ressources minières se distingueront par leur potentiel d’accumulation. A l’horizon 2020, ces secteurs dégageront un chiffre d’affaire de 2600 milliards de dollars. Dans le même temps les progrès technologiques et particulièrement le secteur des télécommunications et de l’internet auront un impact déterminant sur le PIB. Aujourd’hui les impacts les plus significatifs d’internet concerneront six secteurs ; services financiers, éducation, santé, administration et le commerce de détail. Les gains de productivité observés dans ces secteurs dus à ces nouvelles technologies sont estimés entre 148 et 318 milliards de dollars d’ici 2025.

Dans le domaine des services financiers, il faudra compter avec la réduction des coûts de transactions consécutifs aux rapprochements de la banque et de ses clients. Avec les nouvelles technologies, on estime que plus 50 % auront accès au service bancaire ; et plus de 90 % utiliseront leurs téléphone portable pour effectuer des transactions.

Les gains de productivité dans le domaine de l’éducation pourront atteindre entre 30 et 70 milliards. Dans les services de santé ces gains sont estimés entre 84 et 188 milliards d’ici 2025.

Avec un taux de pénétration actuel de l’ordre de 5 %, on estime, à l’horizon 2025, que ce chiffre pourrait atteindre 50% dans certains pays et 30 pour cent en moyenne dans le continent. Le taux de pénétration des ordinateurs portables et des tablettes pourrait atteindre 40 pour cent. Ces transformations des conditions de production consécutives à une intensification des processus et des procédés techniques favorisera une accumulation sans précédent sur un continent qui selon plusieurs études connait les taux de rendements sur capitaux investis les plus élevés.

Toutes les grandes firmes mondiales sont présentes en Afrique : Unilever, Google, Nestlé, Mc Donald, Oracle, IBM, Coca Cola, Pepsi…De grosses fortunes se sont bâties autour d’entrepreneurs africains comme Mo Ibrahim (Celtel International), et Dangoté, distingués parmi les plus grosses fortunes du monde. Sur les nouvelles technologies, le continent africain arrive en première position en termes de croissance du marché du téléphone mobile, avec un taux moyen de croissance sectoriel de plus 60% sur la période 2006-2011. Le développement des plateformes internet, des réseaux sociaux, et des infrastructures virtuelles confirme ces transformations structures.

C’est dire que le processus de mondialisation culmine aujourd’hui en Afrique, nouveau territoire d’application de logiques d’accumulation. Plus de firmes, plus de production, plus d’échanges, plus de transactions, et plus de consommation.

III) – Opportunités, risques et défis liés à ce nouveau statut

Cette nouvelle donne apparaîtra donc comme une opportunité pour le continent africain à condition que les politiques commerciales, économiques et financières soient suffisamment judicieuses pour exploiter les opportunités qu’offre le continent africain. De la gouvernance aux politiques d’immigration en passant par les politiques de promotion des investissements, tous les instruments de développement doivent être mis au service de cette nouvelle condition. Il y a là une chance unique à saisir dans ce siècle qui s’ouvre pour faire du continent africain le territoire de prédilection de la mondialisation en cours.

Le potentiel est donc là. Restent les politiques, les initiatives et les décisions idoines pour faire des deux décennies prochaines les décennies du continent africain. Et pour les socialistes que nous sommes, la politique doit être à l’avant-garde de ce combat, de ce projet. Nous devons, à ces firmes, à cette recherche, à ces innovations, tenter de définir une direction politique claire en faisant prévaloir nos valeurs et les limites de l’acceptable.

Dire que le continent africain est devenu le territoire de prédilection de la mondialisation, c’est aussi admettre que le continent s’ouvre à tous les dangers : déstructuration des rapports sociaux, affaiblissement des états nations, paupérisation de la population, croissance du lumpen prolétariat.

Tous ces risques réclament de nouvelles attitudes, pour contenir le capitalisme dans des limites humaines et de nouveaux instruments de régulation contre les puissances organisées du marché. La spécificité du continent africain exige une vision d’avant-garde pour le continent.

Le plus grand défi pour cette vision sera l’unité politique du continent. Le développement du continent suppose la production de biens publics continentaux tels que la sécurité collective, la recherche, la production d’une énergie compatible avec la protection de l’environnement.

Le continent devra surtout réguler positivement et électivement le conflit entre la science et le social, et ne plus attendre des progrès automatiques. Il faut encourager les découvertes scientifiques, mitiger leurs nuisances, les orienter vers les meilleurs usages au service de l’Humanité entière. Là réside essentiellement le défi politique de la mondialisation, interpelée dans sa capacité à traduire les acquis de la science et de la technique en progrès global ».

M. Ousmane Tanor Dieng

SG du PS

 

SOURCE:http://www.gfm.sn/contribution-la-communication-de-m-ousmane-tanor-dieng-a-lluniversite-dete-du-parti-socialiste/