DAKAR
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L’OBS – Le Tribunal des flagrants délits de Dakar a, avant-hier mercredi, relaxé au bénéfice du doute les 22 étudiants arrêtés lors de la manifestation du mercredi 21 mai 2014. Poursuivis pour violences et voies de fait, dégradation de biens appartenant à l’Etat et outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions, les étudiants qui avaient nié en bloc les faits qui leur sont reprochés ont eu gain de cause. Lors de ce procès, étudiants et forces de l’ordre ont rempli le Palais de justice de Dakar. Dans la foule, des policiers en civile ont surveillé les moindres mouvements des jeunes et dans cette masse, un des dirigeants de la grève de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) a pu échapper à la vigilance des forces de l’ordre. Pour sa protection, il a opté pour l’anonymat en se confiant, juste après le procès, à l’Obs. Il dit tout.  

«Je suis au département d’histoire. Après  ma licence, je devais faire mon master. Mais ma vie a pris un autre tournant. Alors que je pensais être de ces étudiants qui graviraient les échelons avec une inscription en master, je suis devenu un des dirigeants de la grève à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Avant d’entrer dans le fond du problème, je vais vous avouer une chose : notre vie est similaire à celle des fugitifs. Nous sommes traqués jour et nuit. Aujourd’hui, beaucoup de dirigeants n’ont pas  pris part au procès des 22 étudiants emprisonnés. Certains ont été blessés par les forces de l’ordre, d’autres ont fui parce que nous sommes recherchés. Une recherche qui, je vous le dis, est très minutieuse car nos photos ont été remises aux agents de la police (Sûreté Urbaine) et nos téléphones sont mis sur écoute. J’ai pris un grand risque en venant au tribunal, mais je sais que je peux, au moment où je vous parle, être alpagué. Ils sont même allés voir un de nos professeurs d’histoire à qui ils ont montré nos photos avant de l’accuser d’être de mèche avec nous et de nous fournir certaines informations. 

«Durant 1 mois, les autorités ont fait la sourde oreille»

Pourtant, tout ce que l’on demande c’est d’apprendre. Et il faut que les gens sachent une chose : si on est allé en grève, c’est pour permettre à tous les étudiants qui ont obtenu leur licence de s’inscrire en master. Il y a une grande confusion car les gens pensent que la protestation des étudiants est due à un  problème de bourse. Mais, c’est lorsqu’on a commencé le combat pour le «Master pour tous», né après recalage de ces milliers d’étudiants qui ont obtenu les 60 crédits requis, que nous avons rencontré des étudiants dans le désespoir. A chaque fois que nous allions les déloger dans les salles, ils nous exposaient leur problème en nous confiant être restés 7 à 8 mois sans percevoir leur bourse. Je me rappelle qu’il nous demandait  pourquoi on n’irait pas en grève pour exiger le paiement des bourses. Mais, on leur faisait toujours savoir que ceci n’était pas notre combat et que nous allions les déloger tout en poursuivant les négociations avec les autorités. Et c’est ce que l’on a fait. Depuis le mois d’avril, nous avons entamé une négociation avec les autorités. Durant 1 mois, ils nous ont trimballés à gauche et à droite en faisant la sourdre oreille. On a usé de tous les voies et recours pour avoir gain de cause. Malheureusement, le combat est resté vain. Pour nous faire entendre, il fallait soit aller en grève de la faim ou aller au front. Nous avons opté pour le deuxième choix car même les médias étaient tombés dans le piège, car à chaque fois qu’on les appelait pour qu’ils relatent les difficultés que l’on vit, ils ne venaient pas. Que le monde entier sache que nous ne sommes ni des cartouchards ni des repêchés, on a obtenu les points requis pour un master et tout ce que l’on demande, c’est d’apprendre.

«Nous sommes des fils de «Badola (démunis)» et ne comptons que sur nos études pour réussir»

Lorsqu’on a fait notre premier sit-in, le doyen Abdoul Sow a appelé le ministre et lui a dit qu’il a été séquestré. Et c’est un des conseillers du ministre qui nous a informés. Mais comment peut-on séquestrer quelqu’un que l’on n’a même pas vu ? Le lendemain, jour de la tenue de l’assemblée de la faculté, une centaine de Gmi a assiégé l’Université. Comme des snipers avec leurs armes, ils ont cerné le campus pédagogique. Même dans le nouveau bâtiment de la faculté des Lettres, ils se baladaient avec leurs armes. Et le jour de la grande offensive, on n’était même pas une vingtaine d’étudiants. C’est par la suite que ceux dont les bourses n’ont pas été payées et tous ceux qui sont frustrés par la diminution des bourses et de l’aide octroyées aux étudiants n’ayant pas de bourse, entre autres, se sont alliés à nous. C’est ce choc de frustration qui a provoqué cette grande manifestation.

Ce jour-là, on a déclenché notre grève à 07 heures du matin. On a commencé à déloger les étudiants. Comme les policiers ne voulaient pas de regroupement au sein de l’Ucad, ils nous ont lancé des bombes lacrymogènes. On a riposté. On n’était même pas une vingtaine de personnes. Vers 10 heures, tous les lésés nous ont rejoints. C’est comme ça que ça s’est passé. Beaucoup  d’étudiants ont été blessés et des policiers ont aussi été blessés. Nous ne voulons nous battre avec personne. Tout ce que nous voulons, c’est d’apprendre. Nous ne demandons rien de plus, nous sommes des fils de «Badola (démunis)» et ne comptons que sur nos études pour réussir.»

T. Marie Louise Ndiaye

source:http://www.gfm.sn/nous-sommes-traques-jour-et-nuit-nos-photos-ont-ete-remises-a-la-police-et-nos-telephones-mis-sur-ecoute/