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Macky SallLe livre du Professeur Malick Ndiaye dévisage davantage un Prince du paradoxe qu’un Président de la république. Macky Sall est, en effet, un chef d’Etat conseillé, cogné et crucifié. Au Palais, les conseillers conseillent, le lundi, cognent, le mardi, crucifient le Premier magistrat du pays – par la voie littéraire ou le canal médiatique –, le mercredi, claquent la porte, le jeudi, et vident les lieux (démission de Moubarack Lo,  limogeage de Malick Ndiaye) le vendredi. Question du citoyen pétri de civisme : Mais, on est où là ? Réponse terriblement suffocante de l’analyste : on est simultanément dans la république, au cirque et chez les guignols de la calamiteuse rupture. 

 

En vérité, l’orthodoxie républicaine peine et tarde à trouver ses marques. Dans le cas précis des conseillers, le Président Macky Sall doit vite entrer en possession d’une doctrine claire et stable de recrutement entre le quota des Partis politiques, le stock d’amis personnels et la sélection minutieuse et probante de Sénégalais avisés.  Auparavant, une juste idée de la fonction doit prévaloir : à savoir que conseiller un Président, ce n’est pas foncer sur un fromage succulent, bien au contraire, il s’agit de fermenter puis de formater des idées de qualité. Voilà pourquoi le très cartésien Léopold Sédar Senghor avait une escouade cosmopolite de conseillers parmi lesquels on identifiait le Français Michel Aurillac (futur ministre de la Coopération sous Chirac) l’Antillais Henri Jean-Baptiste, l’Israélien David Libon et une brochette de Sénégalais triés sur le volet, sans une pépite de sectarisme ou une once d’ostracisme.  

Sous cet angle, force est de constater que Macky Sall est malchanceux dans ses choix ou alors peu préparé pour la charge suprême. Le bilan à mi-mandat est saisissant à cet égard, avec un excédent de conseillers, un déficit de conseils,  une cascade de frustrations sonores et une série de séparations bruyantes. La presse avide d’informations sensationnelles y trouve son compte, mais l’Etat vissé sur un socle de mythe et de prestige fondateurs y perd son âme. Et, bien sûr, sa puissance. Vivement que le Président Sall rectifie le tir et, dans le même mouvement,  stoppe l’effilochement des fondamentaux de la République si précieux et si salvateurs pour un pays comme le Sénégal plus riche de l’éclat de ses institutions que de la taille de ses ressources naturelles. 

Au-delà du choix judicieux des collaborateurs directs, le locataire du Palais de la république trébuche visiblement sur la méthode de travail et la trempe des conseillers. La nomenclature laisse, en effet, les observateurs pantois. Quand on sait que le conseiller spécial – distinct du conseiller technique – a normalement des compétences transversales (politique
géopolitique, renseignement, économie etc.) on se demande où est-ce que Macky Sall a déniché  de si nombreux Jacques Attali autour de lui. Des Jacques Attali au rabais. Dans une logique de « gouvernance sobre », dix conseillers d’envergure grèvent moins le budget de l’Etat, tout en fournissant un rendement supérieur à celui d’une cohorte de conseillers complaisants ou d’une clique de copains casés. 

Au demeurant, le conseiller doit courageusement se convaincre du privilège particulier de sa fonction. En effet, le ministre, le gouverneur, l’ambassadeur et le général de gendarmerie sont des exécutants de haut vol. Ni plus ni moins. En revanche, le conseiller n’est pas un exécutant. Il aide à la prise de décision. Par conséquent, il doit discuter voire boxer les idées du Président pour les rendre plus fécondes. Ce qui fait de lui, un vrai conseiller technique et non un réel courtisan technique. Or tout courtisan technique tombé en disgrâce devient un cogneur technique en route vers les maisons d’édition et les plateaux de télévision. 

Du reste, les réflexions du démissionnaire Moubarack Lo et les critiques du limogé Malick Ndiaye dévoilent, en arrière-plan, une certaine ambiance de cour à changer. Ni arbitre ni potiche, le Président de la république ne doit, en aucun cas, avoir l’air de partager les manettes que lui octroie le suffrage universel. Le climat de camaraderie en vigueur dans les instances de l’APR doit se dissiper dans les hautes sphères de l’Etat. Le mot écrit imprudemment par le chef de l’Etat puis exhibé partout par Malick Ndiaye, en fait gravement foi. Au train où vont les choses, il y aura toujours matière à produire des brûlots. Ce qui ne signifie pas que Macky Sall devra s’isoler dans un bureau-forteresse. La posture médiane découle de l’art d’être une « Icône cordiale » à l’image du Général De Gaulle.    

Une telle actualité nous oblige à ouvrir le bouquin ou le boomerang de l’ex-conseiller et toujours phosphorescent Malick Ndiaye. Talleyrand (Malick Ndiaye a successivement servi les régimes adverses de Diouf, de Wade et de Macky) issu des entrailles de la Société civile, le truculent sociologue fait une féroce fibroscopie du régime de Macky Sall, avec le coup d’œil inégalable et le témoignage inénarrable d’un ancien courtisan devenu subitement un nouveau contempteur. Ça fait forcément mal. Mais ça ne ment pas. Même s’il est impossible – vu la trajectoire sinueuse de Malick Ndiaye –  de refouler un bémol : le contenu du livre a plus de poids dans l’opinion que l’éthique de son auteur. Enfin, une ultime remarque évacue la coïncidence, rattache la parution de l’ouvrage à un calendrier et l’arrime à l’agenda de feu d’un Premier ministre (Mimi Touré) fraichement débarquée et totalement inconsolée. La politique se passe de hasards et se nourrit de calculs truffés de soupçons 

Le Professeur Ndiaye inventorie et décrit – jusqu’aux confins de la caricature – les faits et gestes d’un régime qui balafrent le profil avenant d’un des cinq Etats les plus respectés du continent. Avant Malick Ndiaye, je m’étais, à travers les Lasers du lundi, agrippé sur la sonnette d’alarme en pointant le fléau familial, le glissement hérétique du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat (consacré par la Constitution) vers un pouvoir débonnaire (non constitutionnalisé) qui change le palefrenier en préfet, la gouvernante en gouverneur et le cireur de chaussures en ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Sinon comment comprendre que Macky Sall ayant dissous le Sénat, hier, recycle, aujourd’hui, Mor Ngom, Benoit Sambou, Abdou Aziz Mbaye etc. en ministres conseillers-personnels qui s’ajoutent à la très budgétivore kyrielle de conseillers déjà logés au cabinet présidentiel. 

Pourtant, il y a un mémorable précédent qui doit ôter tout complexe aux anciens ministres et desserrer cet étau mixé de gêne, de pitié et de sentimentalisme qu’on entrevoit chez le Président. Au début des années 80, le Secrétaire d’Etat à la Pêche, Bocar Diallo, a été éjecté du gouvernement puis nommé Adjoint au Gouverneur de Saint-Louis. Administrateur civil largement habité par le culte de l’Etat, Bocar Diallo se remit sans transition au service de son pays, dans une capitale régionale. En France, l’ancien ministre de l’Agriculture du Général De Gaulle, Edgar Pisani, a été nommé Haut-commissaire (super Préfet) en Calédonie. Question : les ministres non reconduits dans le gouvernement Mohamed Dione, n’ont-ils pas des métiers et des diplômes. Honneur à l’ingénieur Thierno Alassane Sall qui a préféré valoriser son métier, en réintégrant l’ASECNA ! 

Certes, le Président nomme qui il veut. Toutefois, les prérogatives constitutionnelles ne pulvérisent pas les murs de la décence et les remparts de la raison. Manifestement, ces évidences républicaines sont désormais orphelines. Depuis la chute de Wade,  les ténors de la Société civile sont taiseux et les sentinelles de la République sont devenues les sangsues de la République. Dans ce contexte, le titre du brûlot de Malick Ndiaye trouve une réponse qui coule de source : la République, sans les bataillons de républicains en alerte maximale, va au cimetière.

 

 

source:http://www.dakaractu.com/Laser-du-lundi-Ces-conseillers-qui-conseillent-et-cognent-sur-Macky-Sall-Par-Babacar-Justin-Ndiaye_a72530.html