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L’OBS – Depuis la sortie de son livre «Servir» paru aux éditions Didaktika, l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye fait l’objet de toutes les convoitises des journalistes soucieux de revisiter les détails de son livre. C’est désormais chose faite, L’Observateur a réussi à mettre la main sur Abdoul Mbaye. Dans cet entretien, l’ancien Premier ministre parle de ses rapports sulfureux avec Diagna Ndiaye, de ses bisbilles avec Malick Gakou, de sa déception d’avoir quitté la primature très tôt, il balaie les ambitions présidentielles qu’on lui prête et surtout il évoque son groupe de réflexion Ligeey ak Juub. Abdoul Mbaye se lâche…

 

Pourquoi avez-vous choisi de rompre le silence observé depuis que vous avez quitté la Primature, sous la forme d’un ouvrage : «Servir» ?

Je sais qu’au Sénégal quand on quitte une fonction, on a l’habitude d’occuper les médias, de rester sous le feu de l’actualité, tel n’a pas été mon choix. Pour une première raison essentielle, il était important que je ne gêne pas l’action de mon successeur et du gouvernement qui a été mis en place après mon départ. Je m’étais fixé une période de total silence jusqu’au 31 décembre 2013. Par contre, j’ai choisi de ne m’exprimer que sur la base de choses concrètes. J’avais pris pendant cette période d’hibernation et de réflexion la décision de rédiger un ouvrage pour rendre compte de mon activité à la tête du gouvernement, également de contribuer avec des amis à la création d’un Club de réflexion. Et c’est parce que sur ces deux dossiers principaux il y a eu des avancées et des réalisations que j’ai choisi de m’exprimer. J’ai pris l’habitude d’être concret, d’évoquer des choses déjà réalisées, plutôt que de simples projets. En la matière, nous sommes entrés dans une phase active pour la création du Club et l’ouvrage a déjà été réalisé.

«J’ai écrit le livre en 4 mois»

Sur le fond de l’ouvrage et sur les problématiques évoquées, quand avez-vous trouvé le temps d’écrire ce livre qui fait presque 400 pages ?

Un de vos confrères m’avait interrogé sur la lettre de démission que j’avais rédigée. Et, je lui avais répondu que j’écrivais vite, je crois que c’est une qualité que j’ai dû exploiter, sachant que j’y ai consacré l’essentiel de mon temps. Je n’ai pratiquement fait que ça pendant 4 mois. La décision d’écrire le livre a été prise à la mi-septembre et je l’ai terminé en fin janvier. Il faut dire également que sans être entré dans la fonction avec le projet d’écrire un livre en la quittant, j’étais quand même dans une démarche qui devait de toutes les façons me conduire à rendre compte de mon activité sous forme d’un rapport. Ce faisant, j’ai pris le temps à chaque fois de prendre des notes et ça n’a pas été difficile parce qu’il m’a suffit de feuilleter les pages des cahiers dans lesquels j’inscrivais tout ainsi que tous les documents que j’avais amassés.

Ce livre ne constitue-t-il pas votre tableau de bord de Premier ministre que vous n’avez pas eu le temps de dérouler ?

Il est certain qu’il y a des choses qui ont été engagées et qui n’ont pas été terminées, il y a aussi des choses qui auraient peut-être dû être engagées et qui ne l’ont pas été, mais je crois qu’il était surtout important de simplement rendre compte de ce que j’avais fait à la tête d’une équipe gouvernementale, parce que ce n’est pas l’œuvre d’Abdoul Mbaye qui est décrite, mais celle de deux gouvernements qui se sont succédé et que j’ai eu l’honneur de diriger pendant 17 mois. Mais, je crois qu’il vaut mieux mettre l’accent sur ce qui a été fait plutôt que sur ce qui aurait dû être fait. Quand on est Premier ministre, on n’est jamais dans une fonction où on a la certitude de voir tout dérouler, on est dans une fonction incertaine et l’important c’est de fixer le cap, dans le cadre d’une vision qui est celle du président de la République et se mettre au travail le plus rapidement possible.

Peut-on prendre le livre comme un long programme de campagne pour une éventuelle participation à une future élection présidentielle ?

Non, ce n’est pas un programme de campagne, c’est une description de la manière de mettre en œuvre des engagements de campagne. On est plutôt dans l’application de promesses de campagne, on est dans un cadre post-campagne.

Vous faites ressortir un fait qui a trait à la nature de notre régime présidentiel, vous dites que vous n’avez pas le choix sur les hommes, pourquoi avoir accepté le poste de Pm dans ce cas ?

Avant d’occuper les fonctions de Premier ministre, j’ai été mis en position de détachement à plusieurs reprises, parce que je suis fonctionnaire de la Banque centrale, pour diriger des banques qui étaient en difficultés, ça a commencé par la Bhs, puis la Biao devenu la Cbao, il y a eu la Sogeca et enfin la Bst. A chaque fois, je suis venu sans à priori sur le personnel que je trouvais. Il faut pouvoir être en mesure de composer avec les personnes compétentes que vous trouvez ou que l’on vous impose.

Oui, mais le personnel de la Banque est différent du personnel public…

Il est toujours possible de travailler avec des personnes que vous n’avez pas choisies. Par contre, il est important de pouvoir porter une appréciation après s’être donné le temps de travailler avec ces personnes. Et, je me suis permis parfois d’attirer l’attention du Président sur quelques problèmes qui pouvaient exister au niveau de quelques départements.

Vous revenez avec beaucoup de détails dans la méthode de travail à la Primature, est-ce à dire que vous avez peur que votre méthodologie soit remise en question ? Et aussitôt après que vous avez quitté la Primature, le Président a parlé d’accélérer la cadence, qu’est-ce que cela vous fait ?

Je crois très sincèrement qu’il était important, dès lors que le Sénégal avait pour la première fois de son histoire un Premier ministre qui non seulement venait du secteur privé, mais n’était pas fonctionnaire, d’apporter quelque chose. Et ce quelque chose, je l’ai très vite identifié comme de la méthode. La méthode du secteur privé qu’on pouvait peut-être appliquer à l’administration. C’est pourquoi, dans le livre j’insiste sur cet aspect, une méthode qui prend en compte une vision définie par le Président et qui est dans une certaine mesure suffisamment détaillée puisqu’elle a donné lieu à l’élaboration d’un programme qui régulièrement est complété par des instructions présidentielles et à partir de ces éléments de base, il était essentiel de déterminer des plans d’action, de délivrer des instructions, et de veiller au rythme de mise en œuvre de ces instructions. Avec en plus parfois la conception d’un outil qui n’existait pas. Je crois que c’était la principale contribution qui devait être la mienne et dans la mesure où c’était un plus, je le faisais également pour que ça me survive. Je crois d’ailleurs que l’instrument de suivi des instructions présidentielles et primatoriales est resté, la nécessité de rendre compte régulièrement je ne sais pas, mais tous les mois les ministres étaient tenus de rendre compte du niveau d’exécution des instructions qui leur avait été données, un rapport de synthèse était fait et analysé par la Primature et transmis au Président. Personnellement, je pense que ce fut une très bonne chose, et dès lors que c’est apprécié comme une bonne chose, vous accepterez que je me soucie du maintien de cette méthode. Et il y a eu une véritable dynamique autour de cela, on la vivait à la Primature. Quand la fin du mois approchait, il y avait une sorte d’accélération, de relance, dans le souci de faire aboutir certaines instructions. Et c’était pareil dans les ministères, c’était beau.

Mais sentez-vous une rupture ou une continuité par rapport à cette situation que vous décrivez, qu’est-ce qui a changé ?

Nous sommes en train de parler de méthodes de travail, c’est très interne.

Oui, mais qu’est-ce que vous donne votre observation primaire de la situation globale du gouvernement dans sa façon de fonctionner, est-ce qu’il a effectivement une accélération de la cadence ?

Ce n’est peut-être pas à moi d’apprécier, le livre existe. Probablement, il y aura d’autres comptes-rendus par d’autres personnes, et la comparaison sera faite par les observateurs. Je suis juge et partie, je ne peux pas dire.

Aujourd’hui, beaucoup apprécient en termes de pilotage à vue, est-ce que vous partagez ce point de vue ?

Je ne vais pas porter d’opinion négative sur un successeur en fonction qui fait de son mieux, j’en suis convaincu, pour conduire cette équipe gouvernementale. Il ne faut pas compter sur moi pour porter une critique aussi sévère. Je crois que le Président suit, apprécie, compare sans doute, il lui appartiendra le moment venu d’apprécier et de prendre ses décisions.

«Mon cafouillage avec Malick Gakou est né du prix de la farine»

Vous avez choisi d’occulter certains sujets dans votre livre, notamment les relations heurtées qu’on vous a prêtées avec certains de vos ministres, comme Malick Gakou.

Vous avez des relations de travail avec les membres du gouvernement qui est un instrument collégial. On travaille ensemble avec les mêmes objectifs et il y a une responsabilité de coordination qui me revient avec des relations privilégiées avec le chef de l’Etat. M. Malick Gakou a été ministre du Commerce, il a aussi été ministre des Sports avant cela. Il n’y a jamais eu de problèmes avec le ministre des Sports Malick Gakou, avec le ministre du Commerce Malick Gakou, il y a peut-être eu un petit cafouillage. Mais vraiment très léger, c’est un cafouillage qui est né de l’arbitrage sur les prix de la farine, mais l’essentiel était de mettre en œuvre la décision du président de la République, qui retenait qu’il était hors de question que le prix de la farine augmente. Des analyses objectives qu’on a pris le temps de faire montraient qu’il n’était pas nécessaire d’augmenter les prix, il n’y avait pas précipitation en la matière. Nous avions même fait dans la prospective et les prix du blé allaient entrer dans une phase descendante. Résultat des courses, avec le ministère du Commerce et celui de l’Economie et des finances, sous la coordination de la Primature, nous avons réussi à bloquer le prix de la farine, c’est ça qui est important.

Vous faites allusion dans le livre à ce combat que vous avez mené contre le secteur privé et le secteur informel pour la baisse des prix de certaines denrées, mais au-delà de ce combat certains ont vu dans votre différend avec Malick Gakou des intérêts en jeu, ce dernier étant du côté du groupe Mimran et vous du côté du gouvernement, qu’en est-il ?

Les gens voient ce qu’ils veulent voir, Malick Gakou a ses amis, mais moi aussi j’en ai. L’un de mes meilleurs amis est meunier, Ameth Amar. Cela ne m’a pas empêché de défendre l’intérêt général, et surtout d’exécuter une instruction du Président qui était totalement justifiée. La totale similitude de vues entre un ministre et un Premier ministre n’est pas une règle observée à 100%. Il arrive qu’il y ait des différences de conception et de vues, on échange et on s’entend, et si on n’y arrive pas, il y a le recours à l’arbitrage du Président. Et c’est le plus important parce qu’au bout du compte, quand la décision est prise et qu’il faut présenter un décret ou un arrêté, c’est le ministre qui signe.

Aujourd’hui, ne regrettez-vous pas d’avoir engagé un bras de fer qui a quelque part précipité votre départ ?

Je ne partage pas votre opinion.

C’est quand même un lobby puissant qui a la capacité de vous emporter

Peut-être, mais l’intérêt général est plus puissant, je pense sincèrement qu’il n’a pas eu ce pouvoir. C’est vrai que j’ai empêché certains bénéfices de se faire sur la base de prix qu’on pouvait présenter comme excessifs, mais je pense aussi, parce que je connais M. Mimran pour avoir été son collaborateur, que c’est un homme juste. Quelle qu’ait pu être sa souffrance par rapport à certains pertes de résultats, les arguments que j’avançais étaient difficiles à récuser. D’ailleurs, je précise que je n’ai pas eu à me battre contre le secteur informel, au contraire il a été d’une grande contribution pour la baisse du prix du sucre, parce qu’on leur a ouvert la porte pour l’importation.

Parlez-nous de votre candidature au CIO, sachant qu’il y avait déjà un candidat choisi par le président de la République, sachant aussi qu’aucun pays n’avait le droit de présenter deux candidatures…

Je commence par une correction. Un pays peut présenter plusieurs candidats, et surtout il y a des sortes de collèges, c’est-à-dire vous êtes candidat au titre des Cno ou vous pouvez être candidat libre, et vous n’êtes pas en compétition parce qu’il y a des quotas pour l’accès au Cio. Autre précision, quand on fait acte de candidature au Cio, on y a un dossier, moi j’avais un dossier depuis 5 ans, pourquoi aurais-je dû dire maintenant je suis Premier ministre, je renonce à ma candidature ? J’ai maintenu ma candidature parce que ça m’intéressait de pouvoir militer au Cio. Donc ma candidature était là, et on aurait voulu que je la retire, pourquoi ?

«Je n’ai jamais eu de confrontation avec Diagna Ndiaye»

Mais cela a été le pic de la confrontation avec quelqu’un comme Diagna Ndiaye

Mais je n’ai pas de confrontation avec lui, vous voulez peut-être parler d’attaques de Diagna Ndiaye, mais moi je n’ai jamais été en situation de confrontation avec lui.

Mais il y a eu un malaise au Palais, créé par cette histoire de candidature

La presse en a beaucoup parlé, mais il y a eu beaucoup de confusions. Peut-être que la presse n’a pas été bien informée ou bien n’a pas cherché à s’informer, mais la vérité a été dite après et les choses se sont calmées. J’avais un dossier de candidature au Cio et il y est toujours. J’espère que je vais y entrer un jour, mais au titre de candidat libre.

Que pensez-vous de la crise universitaire actuelle ?

A défaut de profondes réformes, l’université publique sénégalaise va s’arrêter, c’est aussi simple que ça. Il n’est pas possible d’entretenir un instrument qui coûte très cher à l’Etat, qui n’a presque pour fonction que de distribuer des revenus et qui finalement produit des porteurs de culture générale qui ne sont pas encore utilisables par la production économique, et tout cela aux frais du contribuable. Nous ne pouvons pas ne pas mettre en œuvre des réformes et la crise universitaire va se répéter et un jour les choses vont s’arrêter, c’est-à-dire qu’il faudra fermer les universités, c’est ma conviction. Alors acceptons les réformes ou allons vers une fermeture des universités et remettons tout à plat. Vous savez ce qui a touché l’université publique sénégalaise et qui a conduit à la cessation d’une production de qualité, c’est cette décision qui a été purement politique, de donner des bourses à tous les étudiants. Aucun pays ne le fait, encore moins un pays aussi pauvre que le Sénégal. Donner une bourse qui sort l’étudiant du seuil de pauvreté, c’est-à-dire vous n’êtes pas producteur dans un pays où il y a 48% de personnes en deçà du seuil de pauvreté, et vous donnez à l’étudiant un revenu supérieur à ce que ce producteur perçoit, vous mettez en place un système où l’étudiant a intérêt à rester le plus longtemps possible à l’université, où il organise ses redoublements pour percevoir aussi longtemps que possible son revenu qui n’est pas loin du SMIG, mais ça ne peut pas marcher. On a besoin d’une réforme et les concertations nationales ont dessiné de manière très claire l’ensemble des réformes à mettre en œuvre. Alors soit on les met en œuvre soit on va fermer l’université publique.

Donc il n’y a pas de marche en arrière possible dans ces réformes ?

Mais ce n’est pas possible, on va droit au mur. Les dépenses sociales ont déjà dépassé les dépenses académiques à l’université, et ça va aller crescendo. Le budget de l’Etat ne peut pas supporter cela.

Mais sous cet angle, est-ce que vous êtes optimiste par rapport au Pse ? Le Sénégal est un pays difficile à réformer et les réformes sont au cœur du Pse

Vous avez raison de souligner l’importance des réformes en opposition au projet. Le Pse est un bon plan, on insiste trop sur l’importance des investissements, des projets… mais il faut de la réforme. On ne peut pas bâtir une économie ou une industrie compétitive avec une énergie qui ne l’est pas, ce n’est pas possible.

Pourquoi est-ce si difficile de réformer ?

Lisez le livre et vous verrez que les pistes sont bien dessinées. On forme beaucoup de littéraires, mais que va-t-on en faire quand l’agriculture a besoin d’encadrement moyen, quand les bâtiments ont besoin d’ouvriers spécialisés, d’où l’importance à accorder à la formation technique et professionnelle. Tout cela fait partie des réformes à mener.

«Je ne suis pas politicien, et je ne le serai pas… »

Vous dites que vous avez dégagé des pistes de réflexion dans votre livre. Par ce geste, n’êtes vous pas en train de vous positionner pour le futur comme une alternative aux politiques ?

Qu’est-ce que le politique ? Au Sénégal, on dit politique mais on pense politicien, ceux qui se spécialisent dans la politique. Par contre, dès lors que par politique on n’entend tout ce qui peut concerner la gestion de la cité et l’amélioration de cette gestion. A quelque niveau que l’on puisse se situer, je crois que cette politique, dans le sens noble du terme, doit engager tous les Sénégalais. Et je n’ai certainement pas l’intention de me soustraire à cette politique. Et c’est tout le sens que nous avons donné, avec un groupe d’amis, à la création d’un Club de réflexion, je ne suis pas politicien à la recherche d’un poste ou d’un mandat en rivalité avec d’autres, mais je considère que j’ai ma part à donner dans une réflexion qui doit permettre d’améliorer la conduite des affaires au Sénégal, qui doit permette de porter le Sénégal vers une situation de progrès et d’amélioration des conditions de vie. Il serait particulièrement égoïste de ma part d’avoir assumé des fonctions de Premier ministre pendant 17 mois, de redevenir un investisseur privé et de dire que la politique me dégoute et que je ne m’y intéresse pas. Je ne suis pas politicien, et je ne le serai pas je crois sincèrement, mais je m’intéresserai à la chose politique en ce sens que je vais être associé à une production de réflexions qui seront mises à la disposition de nos dirigeants.

Est-ce que vous avez parlé au Président Macky Sall de votre groupe de réflexion, puisqu’il devrait être destinataire de vos productions intellectuelles ?

Non seulement nous avions échangé sur la création de ce Club pendant que j’étais Pm, mais avant même de déposer ma demande de récépissé, je suis allé m’en entretenir avec lui et il m’a fortement encouragé en me disant que cela correspondait à un vrai besoin pour le Sénégal et pour lui-même je pense.

Peut-on considérer qu’Abdoul Mbaye, avec son expérience primatoriale, a été piqué par le virus du pouvoir ?

Le virus de la mission peut-être, c’était le cas lorsqu’on m’a demandé de m’occuper des finances de la FSF, quand on m’a porté à la tête de la Fédération sénégalaise d’athlétisme, et quand j’ai dirigé des banques aussi. Pour dire qu’à chaque fois qu’on me confie une mission et que je l’accepte, je m’y donne à fond.

Il semble qu’il y ait une certaine ivresse à diriger les hommes, ce qui fait que les hommes politiques ont du mal à s’en passer.

Je ne suis pas dans cette démarche, je ne suis pas un obsédé du pouvoir. J’ai pris beaucoup de plaisir à exercer cette fonction de Pm, ça m’a coûté en efforts, en heures de sommeil… mais j’y ai pris du plaisir parce que j’avais ce fort sentiment de pouvoir être utile à une échelle beaucoup plus large qu’avant. J’avais le sentiment d’être utile à mes compatriotes.

Etes-vous dans les dispositions de revenir si on vous le propose demain ?

Non je ne crois pas, je crois que j’ai donné. J’ai fait ma part du job. Maintenant, je crois qu’il faut que j’entrevoie autre chose, et c’est ce dont j’ai parlé. D’abord être didactique sur ce que j’ai fait, parce que ça peut servir, et je dois d’ailleurs vous avouer que les meilleurs jugements que j’ai reçus, au-delà de ceux du chef de l’Etat, venaient des hauts fonctionnaires, et ils ont apprécié cette méthode. J’ai écrit pour la rendre publique et espérer que d’autres pourront continuer à la mettre en œuvre. J’ai donné de moi-même, j’ai donné beaucoup d’efforts, je pense être parvenu parfois à des résultats importants, en tout cas bien appréciés par mes compatriotes. On a mis fin à mes fonctions, je vais tourner la page et chercher autre chose, sans cesser d’essayer de rester utile à mon pays par le biais de la création de ce Club.

«Je ne suis pas candidat à la Présidentielle»

Est-ce qu’on peut voir demain Abdoul Mbaye candidat à une élection présidentielle ?

Aujourd’hui je vous réponds non, ce n’est pas le cas.

Donc pour 2017 Macky Sall peut s’attendre à un soutien d’Abdoul Mbaye ?

Il y a le Président Macky Sall et il y a son programme, on est dans le cadre d’hypothèses, le Président Macky Sall est encore dans son projet de rupture et de mise en place du Pse, il est évident que je vais le soutenir. Parce que je ne me dédis pas, si jamais à ce moment on est dans une autre démarche, parce qu’on ne sait jamais, un second mandat peut répondre à d’autres impératifs, à ce moment-là j’apprécierai. Ce qui est sûr c’est que le projet de rupture et tout le programme qui en est sorti, j’y adhère à 100%, et c’est pour cela que j’avais accepté les fonctions de PM et c’est pourquoi je me suis autant donné pour la réussite du Président et de son projet. Il est hors de question que je tourne le dos à ce projet demain.

Quelle est la nature de vos relations avec le Président Macky Sall aujourd’hui ?

Nous avons toujours de très bonnes relations, mais c’est une question symptomatique qui traduit bien ce que le Sénégal a l’habitude de voir. Le Président nomme le PM et il met fin à ses fonctions, c’est la Constitution. Quand on est républicain, on ne peut pas contester cela. On garde les meilleures relations du monde, et j’ai pris l’engagement, avec la création de ce club, de lui fournir de la réflexion allant dans le sens des intérêts de notre pays. Et il m’a même dit, je me permets de le citer, que les gens parleront beaucoup, mais il faut le faire, c’est une très bonne chose.

Donc c’est une séparation à l’amiable et non un limogeage ?

En tous cas, ce n’est pas une sanction. Vous savez pour un président de la République, il y a un mandat et il y a des périodes dans ce mandat que lui-même ne maîtrise pas toujours. Pour tout vous dire, quand j’acceptais ces fonctions, j’avais pris en compte les élections législatives qui allaient venir quelques mois après, et j’étais prêt à quitter mes fonctions à ce moment-là, compte tenu des résultats de ces élections. Mais ce cap passé, j’avais très sincèrement omis les Locales, parce que pour moi, ce n’était pas des élections nationales, mais à partir du moment où l’appareil politique donnait à ces futures Locales une importance majeure, on entrait dans un nouveau cycle du mandat présidentiel qui devenait plus politique. Et je conçois parfaitement qu’un Président considère que plutôt qu’un technocrate, on a besoin d’un technocrate politicien ou d’un politicien moins technocrate. C’était son choix et je l’ai accepté. A chaque temps l’homme ou la femme qu’il faut.

En tant qu’ancien banquier et ancien PM, comment percevez-vous la traque des biens mal acquis, pensez-vous que c’est pertinent dans le contexte actuel ?

Partout où il y a de la magouille et de la corruption à n’en plus finir, l’investisseur ne peut pas être rassuré, parce que les règles du jeu sont faussées par des choix qui sont orientés en fonction de ce qu’on reçoit plutôt que de l’intérêt général. Donc l’argent craintif, parce qu’il y a une traque des biens mal acquis, à mon avis ce n’est pas un argent bien acquis. Parce que quand vous avez de l’argent que vous avez déclaré aux Impôts, vous n’avez pas de problème pour afficher cet argent et pour le faire circuler. Ceux qui le retiennent c’est parce qu’ils ont peur. Ceci dit, la traque des biens mal acquis, on ne peut pas en faire l’économie. Mais dans la procédure, il faut être sûr de taper juste, c’est-à-dire que la disponibilité de la bonne information est un élément essentiel. Si vous ratez cette étape, ça peut avoir un effet boomerang difficile.

Vous semblez craindre que le train ait quelque peu déraillé sur ce plan ?

Je suis banquier de formation et je sais qu’en matière de chiffres, il faut être précis.

Comment percevez-vous la situation économique de façon globale ?

Même si j’ai souvent eu tendance à systématiquement le rappeler, on n’a pas suffisamment fait le bilan du legs. En 2012, l’économie sénégalaise était par terre, n’eussent été les aides budgétaires reçues de nos amis à la faveur du processus démocratique, en juin on n’aurait plus payé les salaires. C’aurait été la catastrophe. En plus, on sortait d’une année de sécheresse, c’était la famine à l’intérieur du pays qu’on avait cachée par pudeur, seul le Président Macky Sall l’a évoquée lors d’un meeting à St-Louis. Ajoutez-y le problème du coût de l’énergie, la crise universitaire… on était au fond du gouffre. Alors quand vous héritez d’une situation pareille, il faut d’abord à la limite mettre à niveau avant de reconstruire, sinon tout est branlant et fragile. Reconstruire une économie, recréer des fondamentaux solides, les Sénégalais réclament cela au bout d’un an, ils disent que l’argent ne circule plus.

Si vous deviez donner une appréciation globale de la situation, qu’est-ce qui est bon et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

On le fera dans le cadre du club de réflexion, le président de la République nous a d’ailleurs demandé de bien cibler le Pse et de voir quelle part peut être prise en charge par le secteur privé. Donc votre question vient peut-être un peu tôt.

Qu’est-ce que vous regrettez de votre passage à la Primature, quelles ambitions aviez-vous en venant que vous n’avez pas pu réaliser ?

Si ça ne tenait qu’à moi, je serais resté dix ans à la Primature et j’aurais fait ce que j’aurais pu faire. Mais on arrive dans une fonction en sachant que ça peut durer trois, six ou douze mois…

Beaucoup de Sénégalais étaient émus par votre discours lors de l’incendie de la maison des talibés à la Médina, aujourd’hui est-ce que vous ne regrettez pas de ne pouvoir terminer votre projet de modernisation des daaras ?

Ce projet n’était pas le mien, c’est un projet que nous avons trouvé et que nous avons soutenu. Ce que je regrette par contre, c’est de n’avoir pas assez combattu les faux marabouts qui mettent dans la rue les talibés, des enfants mendiants qu’on recrute souvent hors du Sénégal pour les mettre avec ceux d’ici. Ça m’est resté en travers de la gorge.

Pourquoi ne pas avoir créé un mouvement citoyen par exemple, pourquoi un Club et comment va-t-il fonctionner ?

Pourquoi un mouvement de plus ? D’abord, j’aime bien faire dans l’originalité, et les personnes qui m’accompagnent sont des personnes exigeantes. Donc créer un énième mouvement, cela ne nous ressemble pas, on a souhaité apporter un plus. On va faire dans l’originalité et aller dans le sens d’une amélioration du fonctionnement de notre démocratie, parce que la vraie démocratie, ce n’est pas seulement donner la possibilité à quelqu’un de voter. C’est donner de la qualité au débat, et on va y contribuer. Pour l’instant, nous sommes onze membres fondateurs, ils m’ont fait l’honneur de me porter à la tête du club. Les structures se mettent en place, notre demande de récépissé a été déposée et pour l’instant nous en sommes à la phase organisation, le processus d’adhésion va être ouvert. Il y a deux femmes parmi les membres fondateurs. Le nom du Club c’est Travail et vertu, ligeey ak juub.

Alioune Badara Fall

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