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Babacar Justin NdiayeAu Sénégal, le tumulte nourrit visiblement la démocratie exactement comme la sève nourrit la plante. C’est là un signe indiscutable de vitalité démocratique (le silence est l’apanage de la dictature) mais aussi la marque d’une frénésie vaudevillesque. Car tout ce qui est excessif est évidemment  insignifiant. A propos du Rapport de la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI), les passions croisées sont si aveuglantes qu’elles chassent in fine les évidences les plus himalayennes.

Il faut marteler – première et évidente réalité – qu’un Rapport n’est ni un paragraphe de la Bible ni une page de l’Evangile ; encore moins une somme de sourates tirées du Coran. Donc il est susceptible de petits, de grands et de nombreux amendements. C’est d’autant plus vrai que le Rapport de la CNRI est sollicité et financé par qui de droit, en l’occurrence le Président de la république. La seconde vérité renvoie à un péché originel imputable à Macky Sall qui a apparemment coupé les ponts avec les rédacteurs, jusqu’à la fin des travaux. Le chef de l’Etat  aurait dû périodiquement suivre, annoter et réorienter le brouillon. Aujourd’hui, on aurait fait l’économie de la confusion – nonobstant la clarté des termes de références découlant du décret présidentiel – autour de la signification et de la perspective du Rapport : réforme ou refondation constitutionnelle ?

Pourtant, la très intime et constitutionnelle Histoire franco-sénégalaise est normalement à la portée de la mémoire des conseillers de Macky Sall. En 1958, le Père de la 5ème république, Charles de Gaulle, avait demandé au fervent gaulliste Michel Debré (Amadou Makhtar Mbow n’est pas un apériste) de coopter le grammairien Senghor – par souci de rigueur lexicale et syntaxique –  dans la commission de rédaction de la Constitution française et communautaire. Une commission dont le Général De Gaulle n’avait cessé de téléguider le travail depuis l’Elysée, car lui seul étant bardé de la légitimité populaire (carte blanche octroyée par la majorité des Français), savait ce qu’il voulait pour la France.

Questions : pourquoi Macky Sall a-t-il lâché la bride à la CNRI ?  Est-il plus démocrate que De Gaulle ou voulait-t-il paraitre également plus démocrate que Me Wade qui, lui, a surveillé et corrigé le travail ayant débouché sur la Constitution de janvier 2001 ? Réponse de l’ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum  au micro de Walfadjri : « Il n’est pas possible que quelqu’un signe les conclusions des Assises avec des réserves ». Par voie de conséquence, Macky Sall a signé sans aucune réserve les conclusions des Assises nationales.  Du coup, ce sont le déficit de courage politique et l’escamotage de la responsabilité au sommet de l’Etat qui installent le pays dans des polémiques pénibles et puériles.  

A la différence du vin tiré qu’il faut nécessairement boire jusqu’à lie, le Rapport Mbow ne sera pas entièrement validé sans être passé au peigne fin. Exercice d’autant plus indispensable que le document est loin de présenter les caractéristiques d’un chef d’œuvre de réalisme. Loin s’en faut. Parfois, c’est l’angélisme constitutionnel qui frappe l’exégète. Même si le souci de cuirasser la Loi Fondamentale reste louable à bien des égards. Sans revenir sur ce qui a été passé au crible par des experts et des politiques de grande valeur, on peut poser encore, un regard appuyé sur quelques dispositions grosses d’innovations et/ou de verrouillages.

S’agissant du plancher et du plafond des âges (35-70 ans), les préoccupations des rédacteurs du Rapport sont judicieuses. Sont-elles pour autant vraiment démocratiques ? Il va sans dire que le consensus est précieux sur un tel point. Au demeurant, la disposition relative à l’âge fait jonction avec celle qui convoque le bulletin de santé des candidats à l’élection présidentielle. Toutefois, la question reste délicate et difficile à trancher quand on sait que le Président de la CNRI (le Professeur Amadou Makhtar Mbow) a plus de 85 ans. Son Rapport actuellement débattu est donc la preuve que celui qui montre au pays, la voie constitutionnelle à suivre, n’est certainement pas sénile ; malgré son presque siècle d’existence. On comprend dès lors pourquoi des chefs de partis – pas des moindres – ne sont pas d’accord.

En revanche, s’il y a une disposition convenable (en politique la pertinence n’est jamais absolue) c’est bien celle qui interdit au chef de l’Etat de présider aux destinées de son parti. Quand on a valablement la prétention d’être aux avant-postes de la démocratie sur le continent et au-delà, on ne saurait mener un combat d’arrière-garde autour de cette disposition. En  vertu de quoi Macky Sall, un pur produit du suffrage universel, ferait-il moins et, surtout, serait-il plus « pouvoiriste », donc plus assoiffé de deuxième mandat que les ex-putschistes Blaise Compaoré et Mohamed Abdelaziz ou le très mal élu Alpha Condé voire le Président IBK surgi des cendres encore fumantes de la junte de Sanogo ? Tous ces Présidents précités ne sont pas des chefs des partis.  

Il serait, bien sûr, fastidieux d’examiner ici un nombre élevé de dispositions blotties dans le Rapport Mbow. Néanmoins, on peut sommairement en scruter  quatre autres. La disposition qui étend la déclaration de patrimoine à tous ceux qui exercent des responsabilités élevées (ministres, députés, patrons d’agences, PCA etc.), à l’exception des grands chefs de l’armée, est évidemment problématique. D’abord l’institution militaire est budgétivore : de massives, de coûteuses  et de juteuses commandes d’armes. Ensuite le fameux et réel secret-défense couvre précisément le secret lié à la Défense nationale et non les turpitudes humaines. Or c’est l’officier qui est en uniforme impeccable. Pas son éthique qui peut bien être en lambeaux. Les procès en cours devant les juridictions militaires où comparaissent des intendants de divers corps militaires et paramilitaires en fournissent l’ample démonstration.

Deuxièmement, la disposition qui vise à cimenter l’équilibre entre les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) n’est pas sans risques. Si elle prévaut, bonjour le gouvernement des juges qui s’installe inexorablement sur des pas de velours. Inacceptable et antidémocratique. Car, le Président de la république, chef de l’Exécutif, est issu du suffrage universel ; tandis que les juges sont nommés. Dans un Sénégal encore constitutionnellement influencé par la France, la notion d’Autorité judiciaire est plus en équation avec le système sociopolitique en vigueur que le Pouvoir judiciaire en équilibre total avec les deux autres. Ce qui n’exclut pas des avancées à doses homéopathiques.

Troisièmement, la disposition fixant définitivement le nombre de ministres à 25, est irréaliste et…périlleux. Dans un pays à cohésion sociale insuffisante (50 ans d’indépendance et 30 ans de rébellion en Casamance) le gouvernement doit être rigoureusement national, c’est-à-dire le condensé de tous les dosages : régional, confessionnel, confrérique etc. Le tout sur fond de compétences avérées. Passage obligé pour motiver et mobiliser tous les fils du pays. Le pays réel se moque des utopies belles de la CNRI. Enfin, la disposition interdisant plus de deux mandats consécutifs amuse et inquiète. Non seulement l’adjectif « consécutifs » est de trop ; mais il fait le lit d’un scénario à la Poutine-Medvedev, version tropicale. Rien n’empêche, un Président sortant, nanti d’un bon bilan et doté d’un trésor de guerre (des milliards de francs) de devenir le Premier ministre d’un gouvernement de coalition, avant de se représenter à la prochaine présidentielle avec mille chances de gagner. En résumé, la très drôle disposition interdit deux mandats consécutifs mais en autorise cinq ou quinze non consécutifs.

La Constitution est trivialement un tas de mots. Elle n’est ni une panacée ni une parousie. La Loi Fondamentale ne vaut que ce que valent les hommes qui l’élaborent, la plébiscitent et l’appliquent. Le problème – s’il en existe – n’est pas dans les textes mais dans la tête. En 2001, les Sénégalais ont voté massivement la réforme de Me Wade. Le 23 juin 2011, ils ont hurlé « Touche pas à ma Constitution ! ». Preuve que la Constitution ne s’est pas auto-tripatouillée. Une main bien identifiée a voulu l’amender abusivement voire dans un sens dynastique.  Cet épisode n’est sûrement pas étranger à l’excès de verrouillage observé dans les propositions de la CNRI. Normal : celui qui frôle l’abime, chérit les cimes.

« Les hommes sont comme les abeilles. Leurs produits sont meilleurs qu’eux » écrivait Jules Romains. Leçon éternelle qui commande aux Sénégalais de se hisser d’abord à la hauteur de leurs institutions, avant de les réformer à la pelle et à une cadence effrénée. Le besoin d’électrochoc civique est plus patent que l’urgence d’une réforme constitutionnelle. Car le progrès réel – autrement dit le bond qualitatif – prend appui sur la volonté et la vertu des citoyens (dirigeants inclus et en tête) et non sur un Rapport que l’homme peut amender sans être, lui-même, amendé. Le voleur n’a-t-il pas toujours une longueur d’avance sur le gendarme ? L’amour de la patrie résoudrait d’emblée 50% des faux ou vrais problèmes d’ordre institutionnel.

SOURCE: http://www.dakaractu.com/Laser-du-lundi-Besoin-de-reforme-constitutionnelle-ou-d-electrochoc-civique-Par-Babacar-Justin-Ndiaye_a60753.html