Sénégal

L’OBS – Le groupe Keur-Gui a sorti cette semaine un single intitulé «Diogoufi !» (Album Encyclopédie, Chapitre 1). Une véritable bombe contre le régime en place. Prétexte ne pouvait être mieux trouvé pour se pencher sur le mouvement «Y en a marre» qui compte en son sein les rappeurs Thiat et Kilifeu du groupe Keur-Gui. Radioscopie d’un mouvement contestataire né d’une coupure d’électricité. 

 

«Au départ, un désespoir. Un désespoir que nous avons voulu transformer en une action utile. Un rêve. Le rêve de bâtir un citoyen modèle capable de porter les changements que nous estimons indispensables pour l’émergence d’un Etat démocratique, d’une nation développée plus juste et plus libre», ainsi parlait Fadel Barro dans «Le Quotidien» du 7 mars 2013. Ainsi naquit, un 18 janvier 2011, «Y en a marre». Un collectif né pour engager la jeune génération à se déprendre des idoles politiques et à prendre en main son propre destin.

 

 

Juin 2011. Tout s’enchaîne. Le Sénégal bascule dans le noir. La capitale sénégalaise vit au rythme des coupures intempestives d’électricité. N’en pouvant plus, les populations commencent à déverser leur ras-le-bol dans la rue. C’est le début des émeutes de l’électricité. Un peu partout à Dakar, la capitale s’embrase. Irrités par l’inertie de l’Etat face au désarroi et au courroux des populations qui continuent à passer des nuits blanches sous la lumière des bougies, 4 jeunes, dont deux rappeurs (Oumar Touré dit Thiat et Landing Sané dit Kilifeu) du groupe Keur-Gui et deux journalistes (Fadel Barro et Aliou Sané) décident de densifier le collectif qui se bonifie avec la venue de Simon Kouka, un autre rappeur. «Y en a marre» devient un puissant mouvement de jeunes qui se donne comme mission d’inciter les Sénégalais à voter, à renouveler le personnel politique, à lutter contre la corruption et à promouvoir le civisme. «La nuit de la création du mouvement, nous évoquionsles nuits passées dans le noir et les journées de travail perdues, des enfants qui rendent l’âme dans les hôpitaux, dans les salles d’opération, des cadavres qui se décomposent dans les morgues à cause des coupures d’électricité. Nous nous sommes dits : «Y en a marre ! Stop ! L’heure n’est plus aux lamentations de salon et aux complaintes fatalistes face aux coupures d’électricité. Nous refusons le rationnement systématique imposé à nos foyers dans l’alimentation en électricité. La coupe est pleine», continue Fadel Barro, coordonnateur du mouvement. De juin à août 2011, ils lancent une grande campagne pour convaincre les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales afin de participer à l’élection présidentielle sénégalaise de 2012, réclamant, sans succès, que le gouvernement repousse la date limite d’inscription et prônant la naissance d’un Nouveau Type de Sénégalais (Nts). S’ensuivront, tout au long de l’année 2011, des séries de manifestations comme des sit-in agrémentés par une innovation de taille intitulée «Les foires aux problèmes» qui auront lieu presque tous les week-ends à la Place de l’Obélisque ainsi que la mémorable journée du 23 juin 2011 où le mouvement jouera un rôle fondamental avec son opération dénommée «Doggali». []Le 15 février 2012, les manifestations sont interdites par le gouvernement[]. Le 16 février, trois membres du collectif sont arrêtés pour avoir participé à une manifestation interdite à la Place de l’Obélisque. Jugés par le tribunal des flagrants délits de Dakar, ils «ramasseront» une peine de 3 mois avec sursis.

Grandes batailles. Cette condamnation, loin de freiner les ardeurs des initiateurs du mouvement, booste leur élan. La lutte s’intensifie et a comme principal objectif de bouter la «Wadie» loin des sphères du pouvoir. L’enjeu ne se limitait plus à se débarrasser d’un «vieux dirigeant» aux propensions monarchistes, mais de fonder un espoir, de susciter une prise de conscience des jeunes susceptibles de mettre le pays sur la voie du développement. Les manifestations de contestation contre le régime d’Abdoulaye Wade se densifient. Les opérations «Fanane», «Daas fananale», «Fananné daas» «Doggali» sont lancées. Le 26 février 2012, l’élection présidentielle se tient à date échue. Au terme d’une longue journée de suspense, Abdoulaye Wade est au coude à coude avec son ancien «dauphin», Macky Sall. Le 2e tour s’impose. Il est fixé au 25 mars 2012. «Y en a marre» appelle à voter contre le «monstre Wade». Au soir de ce jour tant attendu, les résultats tombent. Macky Sall est élu 4e Président du Sénégal. Les scènes de liesse populaire égaient les rues de Dakar et de la banlieue. Mais, pour le mouvement «Y en a marre», l’heure n’est pas à la fanfaronnade. «Ce qui nous reste à déconstruire est largement plus important et plus conséquent. La victoire sur Abdoulaye Wade est un défi relevé, mais ne peut pas être une finalité. Il est parti, mais les raisons d’indignation sont toujours là», confie Fadel Barro. Au même moment, comme s’il sentait la menace de l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de sa tête, le président nouvellement élu leur tendait la main en ces termes : «Je n’ai pas envie d’avoir un «Y en a marre» quand je serai élu.» Son message sera-t-il entendu ? Rien n’est bien moins sûr !

Bis repetita. Car, deux années après son accession à la magistrature suprême et voyant que la situation du pays périclitait de jour en jour, les premières salves commencent à tonner sur le «Macky». Lors d’un concert à la Place de l’Obélisque organisé le 18 janvier 2013, Thiat lâche le premier missile : «Il faut diriger un peuple à son image. Nous sommes des révolutionnaires. Un peureux ne peut pas nous diriger. Nous voulons d’un Président courageux, mais pas d’un poltron. Macky Sall doit être ferme et digne. Où sont les 5 000 emplois que Macky Sall nous avait promis ? Nous n’avons rien vu. Macky nous disait qu’il y aurait une couverture médicale universelle. Est-ce que vous vous soignez à votre guise ? Il nous avait promis de mettre fin aux délestages. Cela a repris de plus belle. Il nous avait promis de régler la crise dans le secteur de l’éducation, mais je puis vous jurer que cette année sera nulle, il n’y aura pas de cours et c’est dangereux», lâchait-il du haut de l’estrade, grisé par les ovations de la foule. Puis, c’est la délivrance du récépissé du mouvement qui constitue le second point d’achoppement. «Le pouvoir actuel refuse de nous délivrer notre récépissé. Depuis le mois de mars dernier, nous courons derrière notre récépissé que l’ancien Président Abdoulaye Wade avait refusé de nous délivrer. Nous pensions que les choses allaient changer avec Macky mais, c’est le même scénario», a lancé Fadel Barro lors d’un atelier sur «l’apprentissage de la dernière élection présidentielle de 2012» organisé le 14 mars 2013 par l’agence Niyel. Ensuite, c’est lors de la célébration de l’An 2 du mouvement que «Y en a marre» tape de nouveau sur la table en exigeant du Président Macky Sall qu’il respecte ses promesses électorales. C’était en janvier 2013. Une année plus tard, alors que Macky Sall fête l’An 2 de son accession à la magistrature suprême, «Y en a marre» présente, lors de la «Foire aux problèmes», «un Sénégal toujours en crise avec un régime qui ne rassure pas». Fadel Barro, coordonnateur du mouvement, portera l’estocade lors d’une interview qu’il accorde à L’Observateur dans son édition du 26 mars 2014. Son constat est froid et glace le sang. Pour lui, les raisons de leur indignation d’hier sont toujours d’actualité. Macky Sall était averti. Le «Y en a marre» est toujours debout et son combat ne s’est émoussé au bout des deux ans. Aujourd’hui, il en a la preuve palpable, avec la sortie du pamphlet du groupe Keur-Gui : «Diogoufi !».

NDEYE FATOU SECK

 

source: http://www.gfm.sn/toujours-aussi-virulent/