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Ouvrage autobiographique, la “Philosophie Sauvage” revêt le visage d’un legs testamentaire puisqu’il répond au vœu de l’auteur de transmettre à ses enfants et petits enfants, un héritage mémoriel. Cela, à travers l’évocation du vécu d’un père, d’un grand-père, marqué par le Fouta de ses aïeux, mais qui pris par son travail n’aura pas eu le temps de les en imprégner. Aussi, si cette terre des ancêtres occupe une place centrale dans l’évocation de ses souvenirs, il se trouve toutefois que, voguant de ville en ville tel un nomade au gré des affectations de son fonctionnaire de papa, natif de Kayes, (dans l’ancien Soudan français, aujourd’hui République du Mali), Abdoulaye Elimane Kane ne découvrira le berceau familial qu’à l’âge de 10 ans, au terme d’une longue traversée de six jours. Embarqué dans le Bou El Mogdad glissant sur les eaux du fleuve pour rallier St-Louis à Saldé distant d’une centaine de kilomètres, il a enfin l’opportunité de matérialiser les images qui ont meublé sa tête durant toute cette période de son enfance. Et le voilà respirant à pleins poumons l’haleine si particulière du fleuve, chargée d’ odeurs de boue et de poisson frais.
Le nomadisme sera décidément une des marques de fabrique d’Abdoulaye Elimane Kane. Après l’école coranique, il fréquentera l’école française où il sera initié à la lecture à travers le fameux syllabaire “Mamadou et Bineta” . Un livre rempli de scènes de vie et des images d’Epinal qui à l’instar de Toto, petit garçon sympathique et querelleur, auront meublé le ciboulot de nombre de potaches. Au regard de son brillant parcours ( il va se retrouver des années plus tard à la Sorbonne à Paris pour un troisième cycle et plus tard à Lille pour une soutenance de thèse d’Etat), on ne peut s’empêcher de penser que cela a été rendu possible grâce au rôle pionnier de l’Ecole de la République. Une école proche de ses enfants et soucieuse de faire éclore les potentialités qui sommeillent en chaque individu quelque soit son rang social. A travers ses souvenirs viennent se greffer des réflexions sur le rôle crucial de l’Internat et le système de solidarité développé par les familles pour rendre possible la scolarité des enfants en les mettant dans de bonnes conditions d’apprentissage.
De ses années étudiantes dans l’hexagone, Abdoulaye Elimane Kane restituera quelques anecdotes croustillantes, à se tordre de rires, à l’instar de cette escapade à Genève avec des collègues pour un colloque où il sera fouillé par la douane qui le soupçonnait de vouloir organiser une fuite de capitaux au profit de deux africains qui venaient de gagner une forte somme au Loto et qui refusaient de sortir de l’anonymat. Nomade, il aura été de ville en ville, de pays en pays au gré de ses études et de ses activités de scout, nouant des amitiés plurielles et diverses qui sensibilisent sur le respect des croyances des autres , sur l’acceptation de la différence et rendent rétifs au sectarisme au dogmatisme et à toute forme d’exclusion.
Abdoulaye Elimane Kane abordera un autre volet de son vécu portant notamment sur un engagement syndical et partisan qui aura mis du temps à se dessiner. Il revient ainsi sur son activité militante au Rnd, un parti créé par le savant Cheikh Anta Diop, souvent reclus dans son laboratoire du Carbone 14 de l’Ifan, où il se rendait tous les jours de 10h à 22h, hormis le dimanche et donne des clés de lecture sur les différentes crises qui l’ont secoué à coups de démissions, exclusions et scissions.
Il s’interrogera aussi sur les raisons ayant abouti à la perte du pouvoir par le Ps, parti dans lequel il milite encore aujourd’hui. Les périodes d’apprentissage de l’opposition sont évoquées de même que les Assises nationales et cette conscience de quelque chose qui a changé à savoir un désir de bonne gouvernance qui taraude la conscience des Sénégalais.
Cet ouvrage qui est un chemin de vie se clôt sur une réflexion sur la maladie, par le biais de l’asthme qui empoisonne la vie de l’auteur depuis ses 29 ans. Avec cela, il comprend comme l’indique Canguilhem que “la santé, c’est le luxe de tomber et de s’en relever” , puisqu’en définitive “aucune guérison n’est retour à l’innocence biologique”.
Avec un art consommé de la restitution de ses souvenirs et de ses ressentis, Abdoulaye Elimane Kane arrive à nous replonger dans l’ambiance d’une époque désormais révolue, laissant du coup notre imagination vagabonder autour de cette vie qui décidément “a de longues jambes”.
Portée par une écriture attrayante “La Philosophie Sauvage” se lit avec délectation. Et au-delà de la mission particulière qu’il s’est assigné, l’auteur aura aussi réussi grâce à un incontestable talent de conteur doté d’une mémoire captivante à procurer un cachet universel à l’évocation de son vécu.
source: http://www.sudonline.sn/sud-bouquin----philosophie-sauvage----la-vie-a-de-longues-jambes_a_23183.html
