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EUX & NOUS - PAR MOHAMED SALL SAO - DEFENSE DES VALEURS REPUBLICAINES ET PROMOTION DU CIVISME (SUITE ET FIN) : Eléments de réflexions complémentaires sur les questions relatives à la liste et au statut spécial de Touba *

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Le débat sur la liste non paritaire de Touba-Mosquée a redoublé d’intensité à l’issue de la visite d’explication entreprise à Touba dimanche dernier par une délégation de la CENA. En effet, les « voix autorisées » de Touba s’étaient exprimées pour affirmer, d’une part, que « la parité ne sera jamais appliquée à Touba » et, d’autre part, en ce qui concerne le statut spécial demandé en faveur de Touba, que la capitale du mouridisme avait déjà un statut spécial « de fait » et que « c’était juste pour la formalisation qu’un document allant dans ce sens avait été rédigé et remis à qui de droit, depuis un an déjà… ».

 

Puis, ce fut au tour du ministre de l’Intérieur, s’exprimant mardi dernier en marge d’une cérémonie de réception de véhicules pour l’administration territoriale et la police nationale, d’annoncer : « Aujourd’hui, nous avons pensé que c’est une liste, c’est vrai, qui ne respecte pas la parité, oui, mais qui ne gêne pas les acteurs politiques en jeu. Parce que, vous n’avez pas entendu de contestations, il n’y a pas de parti pris visé, il n'y a aucune récrimination… Nous pensons pour une application intelligente de la loi, il faut qu’elle réponde aux normes de la société pour laquelle justement cette loi est sensée être appliquée. Nous pensons, pour l'instant, la liste de Touba est bien recevable. Et sur cette base, on ira aux élections dans ces conditions ». 
 
Ces dernières péripéties, quelque peu surprenantes, voire angoissantes, appellent quelques questions/commentaires.
 
Au sujet de la parité, il convient de se poser, au préalable, les questions suivantes sur la place et le rôle des femmes dans notre société : N’est-ce pas une simple interprétation que de penser que l’islam et la charia dénient à la femme le droit de participer aux délibérations sur des questions relatives à la gestion de la cité ? Lorsque l’on reconnaît que « la démocratie, c’est l’exercice du pouvoir par la majorité », peut-on refuser de concevoir qu’une bonne partie de cette majorité, en l’occurrence sa composante féminine, puisse participer à un tel exercice, en accédant notamment aux instances de décision ? Les interdits d’une époque ne doivent-ils pas évoluer avec le temps ? Les femmes sénégalaises d’aujourd’hui n’ont-elles pas, pour une grande part, les compétences nécessaires et les moyens intellectuels suffisants pour contribuer effectivement et efficacement à la vie publique, ainsi qu’à la prise des décisions politiques ?...
 
I – SUR LA LISTE NON PARITAIRE DE TOUBA
 
Quel que soit le sens des réponses apportées à ces questions, la loi sur la parité, qui résulte certes d’un calcul politique, a déjà été votée sous le magistère de Wade, même si tout porte à penser, qu’en plus des résistances d’ordre sociologique ou religieux, la majorité des Sénégalais n’était pas convaincue de la nécessité ou de l’opportunité d’une telle loi, ne serait-ce qu’en raison de son manque de réalisme, la proportion de femmes alphabétisées, politisées ou motivées, n’étant pas comparable dans ces domaines à celle de leurs homologues masculins.
 
La loi ayant été votée, la liste de Touba pose ainsi un vrai problème, le respect de la parité étant une condition de recevabilité au regard de cette loi. Que les us et coutumes religieux le réprouvent et que les femmes de Touba ne se sentent pas concernées, n’y changent rien. La loi a institué la parité absolue pour toutes les institutions électives et une liste électorale, quelle qu’elle soit, ne saurait donc être recevable si la parité n’est pas respectée. Cependant, compte tenu des arguments avancés par un certain nombre de citoyens, ainsi que des différentes réactions d’autorités publiques, relatifs à nos réalités religieuses, culturelles, sociologiques, etc., l’on peut admettre, certes, que cette loi puisse être amendée ou abrogée, mais, tant qu’elle ne l’a pas été, elle devrait s’appliquer.
 
Aussi, le fait que les acteurs politiques n’aient pas réagi ou n’aient pas émis des récriminations sur cette liste de Touba, ne devrait pas justifier que la loi puisse être violée. C’est cela l’Etat de droit, car, comme le disait Alioune SALL, un ami et éminent ancien collègue du système des Nations Unies,  « l’on ne peut considérer qu’un pays tend vers l’Etat de droit, que lorsque, dans ce pays, l’Etat lui-même se soumet au droit ». Aussi, en tant que co-dépositaire, avec le pouvoir judiciaire, de la légalité, un gouvernement ne devrait jamais bafouer une loi, fût-elle inappropriée ou scélérate, mais tout simplement l’abroger ou l’amender. Aujourd’hui, au moment où il risque de commettre un fâcheux précédent, l’Etat sénégalais doit savoir qu’il a, non seulement une lourde responsabilité historique à assumer, notamment en termes d’image, mais aussi et surtout un défi à relever, en termes de crédibilité et de stabilité de nos institutions.
 
II – SUR LE STATUT  SPECIAL DE TOUBA
 
Touba bénéficie, en effet,  d’un statut spécial de fait, découlant d’une tacite acceptation par l’Etat de l’application à Touba de différents interdits du Khalife (sur le tabac, l’alcool, les tenues vestimentaires indécentes, les trop fortes sonorités musicales, etc.), mais ces interdictions, édictées en vertu de la charia et donc plus rigoureuses que les règles du droit commun administratif, n’ont cependant nullement remis en cause jusqu’ici les principes républicains et la morale démocratique. S’apparentant à une extension, dans le périmètre de Touba, des mesures de police administrative, qui sont - rappelons-le -  d’assurer la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, elles n’ont posé aucun problème particulier à l’Etat et aux autorités territoriales du ressort. 
 
Dans ces conditions, à quoi servirait un statut spécial « formalisé », d’autant que le dualisme et la cohabitation entre autorités administratives et autorités religieuses ont toujours été placés sous le signe de l’harmonie et n’ont été, jusqu’à date, à l’origine d’aucun contentieux ? Et, d’ailleurs, qu’entend-on par statut « spécial » ? Quels en seraient les caractéristiques, les contours et le contenu ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un statut « d’autonomie »?...  Il s’agit là d’autant d’interrogations qui n’ont pas encore obtenu de réponses, notamment de la part de la Commission technique sur le statut spécial de la ville de Touba, mise en place à l’effet de réfléchir sur le statut spécial à proposer. 
 
Selon un communiqué publié récemment, la Commission aurait soumis à l’Etat du Sénégal « différents scénarii de formalisation du statut spécial de Touba, dans un cadre républicain, garantissant à la fois l’intangibilité des institutions, la souveraineté de notre pays, l’unité nationale et l’état de droit ». Cela est rassurant, mais l’aurait été davantage si des informations précises avaient été données sur ces différents scenarii.  
 
En fait, l’argumentaire  proposé dans le rapport de la Commission Technique reposerait, pour une grande part, sur des « éléments de particularité propres à Touba », notamment le titre foncier et les tendances socio-économiques dans la ville sainte, en sus des « éléments du statut spécial de fait », dont le régime de gestion de la sécurité dans la ville, le pouvoir de police reconnu au Khalife, etc.  Mais il a été maladroitement avancé dans le communiqué de la Commission, que « le  Titre Foncier de Touba, comme tous les autres, relève du « droit de propriété » et est à l’origine, l’on peut dire, de la reconnaissance par l’Etat d’un statut particulier de facto ». Le titre foncier consacre en effet à une personne ou une famille la propriété privée d’un bien immobilier (terrain et/ou construction). Mais un droit de propriété suffit-il à conférer à son détenteur un statut particulier ? A-t-il pour autant le droit de contrevenir librement aux lois et règlements en vigueur dans le pays d’appartenance et de localisation du titre foncier ?  Peut-il, en vertu de cette propriété privée, se substituer aux autorités républicaines légitimes, en légiférant tous azimuts ? Quid de tous les autres détenteurs de titre foncier dans le pays ?...
 
Sur un autre plan, une contradiction est à relever entre l’interdiction de principe des activités politiques dans Touba, soulignée entre autres interdictions et l’élaboration d’une liste unique « du parti au pouvoir, sans compétition », pour ne pas parler de l’organisation régulière à Touba de meetings et autres réunions politiques, par différents responsables locaux, de la coalition au pouvoir comme de l’opposition.   
 
En ce qui concerne l’allusion de la Commission technique à des pays « où des régimes ou statuts spéciaux ont été attribués à certaines régions (comme l’Alsace-Moselle en France, le Val d’Aoste en Italie etc.)…», des concitoyens ont déjà répondu en apportant une contre-argumentation. Aussi, convient-il seulement d’ajouter qu’en ce qui concerne la France, en dehors de l’Alsace-Moselle, où l’Eglise n’a pas d’autonomie réelle bien que la laïcité n’y soit pas de mise, il s’agit essentiellement des départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM), c’est à dire d’entités territoriales caractérisées par l’éloignement géographique, voire l’insularité, ainsi que par des singularités ethniques, linguistiques, historiques et géopolitiques, autant de particularismes locaux que Touba n’a pas, en dehors de sa spécificité religieuse… 
 
Quoi qu’il en soit, il convient de répéter avec conviction qu’au Sénégal, nous sommes bien dans le cadre d’un Etat unitaire décentralisé et que, d’autre part, Touba n’est pas le seul foyer religieux. La communauté mouride dispose de très grands et très bons intellectuels, imbus des valeurs de la République, qui gagneraient donc à contrecarrer les desseins inavouables d’autres membres de l’entourage du Khalife, en menant régulièrement, à son intention, les actions indispensables d’information, de clarification et de plaidoyer en faveur de l’Etat de droit et de l’unité nationale.  
 
 En définitive, plutôt que de se décrédibiliser, en décidant un « passage en force » en violation flagrante d’une loi en vigueur, les autorités ont plutôt le choix entre deux options :
-soit faire invalider cette liste et instaurer provisoirement, en lieu et place du conseil municipal prévu, une délégation spéciale, qui serait opportune et bien fondée à la différence de celles mises en place jadis, sous le précédent régime et qui permettrait de disposer d’un délai suffisant pour finaliser les actions relatives aux deux questions de la parité et du statut spécial ; 
 
-soit décider assez rapidement et sans états d’âme, en dépit des mises en garde d’une opposition somme toute inconséquente, d’un second report des élections locales, afin de permettre une abrogation ou un amendement de la loi et de rendre ainsi recevable la fameuse « liste de Touba » ; au demeurant, en cas d’amendement, l’on pourrait envisager de ne maintenir la parité que pour les élections nationales (législatives et sénatoriales) et en retenant, éventuellement, une parité relative, basée sur un pourcentage de femmes moins élevé que la moitié des effectifs.
 
Par Mohamed SALL SAO
Expert international en gouvernance administrative et politique
Ancien Conseiller au BOM de la Présidence de la République
Ancien fonctionnaire des Nations Unies
 
* (Voir Sud du lundi 12 mai 2014)
 
SOURCE:http://www.sudonline.sn/elements-de-reflexions-complementaires-sur-les-questions-relatives-a-la-liste-et-au-statut-special-de-touba-_a_18934.html