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Livre du Colonel Ndao : Opportunité de réformes Ou "Business as usual"» ?-Par Colonel Alioune Diop

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livre du colonel Ndaw

Il ne fait aucun doute que le brulot du Colonel Abdoul Aziz N’Dao, particulièrement en son tome II, a suscité un intérêt particulier au sein de la communauté nationale, toutes catégories sociales et professionnelles confondues, comme en témoignent les débats et contributions écrites ou verbales à travers les média.
La diaspora sénégalaise présente en Europe, Afrique, Asie et aux Amériques n’est pas en reste et exprime régulièrement ses avis – pour ou contre - à travers les réseaux sociaux !
L’autre public, silencieux et observateur, vivant parmi nous ou bénéficiant à distance de la dimension internationale des chaines de télévision sénégalaises, est bien celui de la communauté internationale étrangère et africaine, sans oublier bien sûr tous les organismes, centres et instituts de recherche qui s’activent à travers le continent dans les domaines de la bonne gouvernance, particulièrement dans le secteur de la sécurité. 

 

Entre ceux qui ont eu l’opportunité de lire les deux tomes en entier et ceux qui n’ont bénéficié que des extraits offerts par les média, voire ceux qui n’ont rien lu, le débat est assurément passionné mais témoigne d’un fort sentiment d’intérêt et d’attachement des citoyens à l’endroit de leurs forces de sécurité : ce qui est un capital positif à préserver !
Notre contribution d’aujourd’hui – faisant partie de ceux qui ont lu les livres en entier - se propose de s’élever un peu au dessus du microcosme sénégalais et de revenir sur quelques points saillants soulevés par le Colonel N’Dao et qui, à notre avis, méritent une réflexion plus approfondie pour décortiquer le problème au regard des chartes et conventions appropriées des Nations Unies , de l’Union Africaine et de la CEDEAO, qui , nous paraissent dignes de considération dans le règlement de cette crise.
Loin des déballages entre pours et contre et des interprétations à géométrie variable notés jusque là , nos recommandations , tirées souvent de l’expérience de pays résolument engagés dans une politique de bonne gouvernance du secteur de la sécurité ou de résultats pratiques de recherches, ont pour but de montrer qu’il existe bien des mécanismes dont la mise en place permettrait d’éviter que de pareilles situations , fort gênantes pour tout « personnel de tenue », en activité ou retraité , ne se reproduisent. Elles ont également le mérite d’avoir été déjà mises en application au niveau à travers le monde et même par certains pays africains.
Cependant il nous parait utile d’informer d’abord le public sénégalais qui semble surpris ou révolté par certaines révélations du Colonel N’Dao que celles relatives à des problèmes de corruption, détournements de deniers, abus de marchés gré à gré et autres activités illicites au sein des forces de sécurité demeurent une réalité africaine depuis une dizaine d’années environ ; ces problèmes constituent une préoccupation majeure à travers le continent compte tenu des effets désastreux sur l’aptitude opérationnelle et le moral des troupes.
Des instituts et centres africains de recherche respectables – Institute for Security Studies (ISS / d’Afrique du Sud), Institut Africain de Gouvernance (IAG / Dakar) et des partenaires internationaux comme le Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées (DCAF / Genève), le Département pour le Développement International (DFID / Royaume Uni) et Transparency International entre autres , ont consacré et continuent de consacrer d’importantes ressources à des études et publications destinées à la prévention et la lutte contre la corruption et autres activités illicites au sein des forces de défense et de sécurité en Afrique : l’internet pourra à ce sujet satisfaire ceux qui sont avides de plus d’informations.
D’ailleurs le premier Dialogue et Réflexion Stratégique de Haut Niveau de l’Institut Africain de Gouvernance (représentant également la Fondation Mo Ibrahim à Dakar) organisé le 9 avril 2013 à Dakar était consacré à deux thèmes majeurs afférents respectivement :
• Aux voies et moyens d’améliorer la gouvernance des forces armées africaines au regard de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance,
• Et à la définition d’un cadre permettant de renforcer la lutte contre la corruption dans les armées africaines.
Les résultats et conclusions de la quasi-totalité de ces recherches et études révèlent régulièrement des dysfonctionnements cruciaux tels que :
• Chaine logistique disloquée, obsolète ou inopérante
• Baisse du moral de la troupe et cadre de vie déplorable
• Aptitude opérationnelle minimale, voire inexistante
Malheureusement c’est bien au moment des crises que gouvernants et gouvernés s’en rendent compte amèrement à leurs dépens , loin des magnifiques défilés traditionnels : les exemples les plus récents et pas loin de nous concernent la RDC, hélas une bien vieille tradition pour ce pays, ou bien le Mali face à la déferlante djihadiste ou enfin le Nigéria où nombre d’observateurs avisés estiment aujourd’hui que l’effet néfaste des problèmes récurrents de malversations – ventes de carburant et d’équipements divers, détournements de primes des soldats …..etc... – compromet grandement l’efficacité des forces de défense dans la lutte contre Boko Haram.

L’acte posé par le Colonel N’Dao est celui d’un « whistleblower » ou lanceur d’alerte éthique !

Pour la seconde fois cette année le Sénégal a eu la surprise de voir des cadres supérieurs, au parcours professionnel respectable et assumant de hautes fonctions au sein de leurs institutions respectives, prendre leur responsabilité et leur courage pour souligner des dysfonctionnements importants dans les commandements de la Police et de la Gendarmerie, en accusant leurs chefs hiérarchiques :
• Soit de recyclage pécuniaire interne de la drogue en liaison avec des dealers patentés connus des services de police,
• Soit pour la gendarmerie, d’attributions irrégulières de marchés administratifs, détournements de deniers publics, corruption, affectation d’équipements défectueux aux contingents de maintien de la paix, utilisation abusive de fonds destinés à la rebellion et manipulation du renseignement au niveau de l’état.
L’autre trait commun aux deux officiers supérieurs concernés est celui d’en avoir, chacun de son coté et dans l’espoir de solliciter un recours, rendu compte – totalement ou partiellement - par écrit à la plus haute autorité supérieure de leurs institutions respectives et de se voir soit rabroué pour l’un, soit juste oublié et évité pour l’autre !
Au-delà des jugements que nous laissons délibérément aux organismes investis de cette mission, Il convient de bien cerner le problème et de voir de quoi il s’agit.

La réalité est que le Sénégal vient de connaitre ses premiers «whistleblower » ou déclencheurs / lanceurs d’alerte éthique dans le domaine de la sécurité ! À la surprise générale du gouvernement et du public !

Toute proportion gardée, c’est bien un « Ndaogate », et un « Keitagate » quelques mois plus tôt, que nous avons connus cette année, en référence au fameux scandale du Watergate qui a causé la démission du président Nixon (USA, 1974) toujours évoqué en de pareils cas !
Il s’avère effectivement utile de rappeler que le lanceur ou déclencheur d’alerte éthique « est une personne qui apprend, dans le cadre de son exercice professionnel, une information à laquelle il est tenu au secret, mais qui est d’une importance pour la société, et qu’elle décide de rendre publique parce que ce secret correspond à un abus ou un crime » ; les anglo-saxons précurseurs mondiaux en la matière , sont encore plus précis : « whistleblowing is the disclosure by a person, usually an employee in a government or private agency, to the public or those in authority , of mismanagement, corruption, illegality , or some other wrongdoing » ! (2)
Nos deux officiers supérieurs , comme un de leurs grands anciens qui a saisi l’opportunité de nous le rappeler récemment à travers les média - le Colonel en retraite Momar Gueye des Eaux et Forets à l’époque du gouvernement socialiste - sont bien dans cette catégorie et rejoignent ainsi leurs prédécesseurs internationaux : John Paul Vann (Colonel , USA – 1963 , guerre du Vietnam ), Frank Serpico (Officier de police , 1971 , Police de New York) et Anat Kamm (secrétaire civil au Central Command , Isreal , 2008) , ou encore plus proches de nous Olivier Thérondel (agent de Tracfin , France , affaire Cahuzac) , Iréne Frachon , (2010, Mediator , France), et bien sûr Edward Snowden (fonctionnaire civil , NSA , USA , 2013), pour ne citer que ceux là !!
Phénomène désormais mondial le « whistleblower » ou lanceur d’alerte éthique a la particularité de ne pas s’adresser uniquement à son organisation ou son autorité professionnelle de tutelle : son message est également destiné à l’opinion publique, nationale et internationale, qu’il prend délibérément à témoin en partageant l’information ouvertement.
C’est un fait de société dans tous les états qui se disent démocratiques et où règnent la liberté d’expression, le respect des droits humains, un souci de bonne gouvernance et une société civile active et engagée : on retrouve les lanceurs d’alerte dans l’administration, les services de sécurité et le secteur privé comme le prouvent bien les exemples cités plus haut. En vérité aucun n’est à l’abri. Des années, voire des siècles se sont écoulés depuis le premier cas enregistré concernant l’officier de marine Samuel Shaw (US Navy, 1777), au Dr Iréne Frachon du Médiator (France, 2010) et Edward Snowden qui lui, continue de hanter le gouvernement en mettant à nu son service de renseignement planétaire qui cible même ses propres alliés !
Le Sénégal, pays de tradition de liberté d’expression et de droits humains présente toutes les dispositions pour rejoindre le groupe des pays concernés ! Etre surpris est acceptable, mais ne pas le reconnaitre n’est plus pardonnable !
Le vrai problème, à l’image de ceux qui ont déjà vécu l’amère expérience, est de voir comment faire pour que cela ne se reproduise plus, surtout dans le secteur de la sécurité, au lieu de s’arrêter aux seules sanctions ou réhabilitations !
En tout cas les premières réactions enregistrées depuis lors au Sénégal sont presque similaires à celles connues à travers le monde dans cette phase initiale :
• Un gouvernement qui brandit un registre de sanctions, clouant publiquement au pilori le lanceur d’alerte,
• Une population et une société civile ébahies, surprises et divisées entre soutien aux sanctions compte tenu du statut militaire de l’intéressé, exigence d’une commission d’enquête indépendante, protection du lanceur d’alerte, exigence de réforme du secteur de la sécurité ….etc.
Notons cependant que le traitement équilibré et juste des dossiers de lanceurs d’alerte par les régimes dits démocratiques à travers le monde ont toujours débouché , malgré les sanctions disciplinaires spécifiques à chaque profession à l’endroit du déclencheur, sur des réformes majeures marquées du sceau de l’exigence de transparence et de redevabilité , du renforcement de la lutte contre la corruption , de l’amélioration des systèmes en place ………suivies très souvent de la démission ou l’affectation de l’accusé , de la sanction ou du rétablissement du déclencheur . La revue des exemples ci-dessus cités permettra d’en apprécier la dimension et surtout le rôle déterminant joué à chaque fois par la société civile et les défenseurs des droits de l’homme.

Quelle appréciation des premières réactions au Sénégal ?

Pour aussi légitimes que puissent être d’une part la réaction initiale du ministre de tutelle, logique au regard des textes et règlements qui régissent les personnels des forces armées dont font partie ceux de la gendarmerie nationale qui ont un statut militaire, et d’autre part celles de nombre de compatriotes qui réclament une commission nationale indépendante en lieu et place de l’Inspection Générale des Forces Armées (IGFA) dont ils doutent des capacités – humaines, logistiques, institutionnelles et de grade , c’est bien le silence de la commission de défense de l’assemblée nationale qui soulève des inquiétudes !
En effet, l’appel du président de la coalition majoritaire à l’assemblée nationale pour la mise en place d’une commission parlementaire est certes une position volontariste mais amène sérieusement nombre d’observateurs avisés à se demander s’il existe ou non une commission de défense au sein de l’assemblée nationale ! Le contrôle démocratique des différents organismes du secteur de la sécurité est une fonction régalienne de l’assemblée nationale particulièrement dévolue à cette commission et à ce jour le président ni aucun autre membre de cette commission ne s’est prononcé sur cette crise !
Mieux, il serait judicieux de vérifier combien de fois la commission nationale de la défense a eu à visiter ou inspecter les forces de défense et sécurité pendant cette période, et aussi depuis la nouvelle alternance qui a débuté en 2012, sur le territoire national et sur les théâtres d’opérations extérieures !
Un autre souci , à dimension continentale celui-là , est de constater dans certains pays africains que les militaires et autres personnels de sécurité croient – ou n’en sont pas totalement convaincus - qu’ils ne sont pas concernés dans l’exercice de leurs fonctions, par l’application des conventions et accords internationaux ( ONU , UA , CEDEAO ) afférents à la bonne gouvernance , la transparence et la redevabilité , soit faute d’une vulgarisation soutenue de ces documents par les gouvernements en place ou les organisations de la société civile , soit qu’ils pensent simplement que ceux-ci sont réservés uniquement aux civils : une erreur monumentale à corriger si cela était le cas !

Conventions et chartes internationales protégeant les lanceurs d’alerte

Les partisans de solutions expéditives, pour des raisons de statut militaire et d’obligation du droit de réserve, et leurs compatriotes juristes ou membres de la société civile défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression, devront toutefois , au cours de leurs joutes verbales , prendre en considération certaines conventions et chartes internationales mises en place pour la protection des lanceurs d’alerte.
En effet ceci est du au fait qu’au sein des pays habitués à ce phénomène la société civile croit fermement que « les lanceurs d’alerte prennent des risques pour nous tous » et « qu’ils révèlent ce que personne ne veut voir étaler, ni les Etats, ni les entreprises privées. Ils montrent un visage pas satisfaisant de nos démocraties. Leur méthode est brutale, mais elle est portée au jugement de la société car ça concerne tout le monde » !
Ainsi leur utilité est singulièrement reconnue à travers les pays de démocratie ouverte, et leur conviction que le droit de réserve a des limites largement partagée au regard de l’exigence de liberté d’expression.
En conséquence la communauté internationale s’est résolue dés le début des années 2000 à prendre un certain nombre d’instruments reconnaissant leur importante et contraignant ou encourageant les états à adopter des mesures pour les protéger.
Il s’agit d’abord de la Convention des Nations Unies contre la corruption signée à Mérida (Mexique) en 2003 et entrée en vigueur le 14 décembre 2005 qui en son article 33 traite de la « protection des personnes qui communiquent les informations ».
La Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption (CUAPLC) adoptée depuis le 11 juillet 2003 à Maputo (Mozambique), en vigueur de puis le 5 aout 2006, ratifiée au Sénégal le 15 février 2007, est venu donner une dimension continentale à celle mentionnée supra. Tout en rappelant leurs différentes responsabilités aux états partis en matière de transparence, justice sociale, état de droit et bonne gouvernance, prévention et lutte contre la corruption, la CUAPLC organise également la protection des déclencheurs d’alerte :
• Article 5, alinéa 5 : les Etas parties « s’engagent à adopter des mesures législatives et autres pour protéger les informateurs et les témoins de corruption et infractions assimilées, y compris leur identité », alors que
• L’Article 5, alinéa 6 demande aux Etats parties « d’adopter des mesures afin de s’assurer que les citoyens signalent les cas de corruption, sans craindre éventuellement des représailles »
En son article 12, alinéa 1 à 5 la Convention organise aussi l’accès du public à l’information et la participation de la société civile et des médias à la prévention et à la lutte contre la corruption en demandant notamment aux Etats parties de « créer un environnement favorable qui permet à la société civile et aux médias d’amener les gouvernements à faire preuve du maximum de transparence et de responsabilité dans la gestion des affaires publiques ».
Enfin, la Convention en son article 7, alinéa 1, demandait – déjà en 2003 - aux Etats parties de s’engager à « exiger que les agents publics ou ceux qui sont désignés déclarent leurs biens lors de leur prise de fonction, ainsi que pendant et à la fin de leur mandat ». Sa mise œuvre effective n’a eu lieu au Sénégal qu’en 2014 !
Au niveau régional le Protocole sur la Corruption de la CEDEAO – protocole A/P3/12/01 signé le 12 décembre 2001 à Dakar - s’inscrit dans les grandes lignes de la Convention ci-dessus citée et va plus loin dans ses articles 8 et 9 respectivement pour demander de garantir la protection des témoins et en même temps l’assistance et la protection des victimes !
L’autre document continental de référence qui exige des états une politique sans équivoque de bonne gouvernance, transparence et redevabilité est la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance en vigueur depuis le 15 février 2012 mais qui peine à recevoir un accueil enthousiaste au Sénégal.
Les deux derniers documents qui méritent référence, œuvres de concertations et études approfondies d’instituts et organisations de la société la société civile, sont :
• D’une part les Principes de Johannesbourg adoptés le 1er octobre 1995 et qui traitent de la sécurité nationale, la liberté d’expression et l’accès à l’information,, précisant en son Principe 2, alinéa b) « qu’en particulier , une restriction ( de liberté ) d’expression qu’un gouvernement tenterait de justifier par des raisons de sécurité nationale n’est pas légitime si son véritable but et son effet démontrable est de protéger des intérêts ne concernant pas la sécurité nationale , comme par exemple de protéger un gouvernement de l’embarras ou de la découverte de ses fautes , ou pour dissimuler des information sur le fonctionnement des institutions publiques , ou pour imposer une certaine idéologie , ou pour réprimer des troubles sociaux » ,
• Et d’autre part les Principes de Tschawne sur la sécurité nationale et le droit à l’information, adoptés le 12 juin 2013 qui établissent de nouveaux principes entre sécurité nationale et droit du public à l’information , notamment l’équilibre entre la préservation du secret et le droit du savoir du grand public . Ils précisent en leur Principe 31 que « s’ils ne l’ont pas déjà fait, les états doivent mettre en place des organismes de surveillance chargés de superviser les entités du secteur de la sécurité , leurs opérations, leurs réglementations, leurs politiques , leurs finances et leur administration. Ces organismes de surveillance doivent être indépendants des institutions qu’ils sont chargés de superviser sur les plans institutionnel, opérationnel et financière ».
Cependant , le dispositif institutionnel ci-dessus cité , ne doit pas nous faire oublier qu’au au delà de toutes les personnes impliquées - et qui doivent bénéficier de toutes les possibilités pour se défendre - , du gouvernement et des organisations de la société civile et des droits humains , l’ultime vainqueur dans ce premier scandale de « whistleblowing » au Sénégal devrait être l’institution des forces de défense et de sécurité, en bénéficiant à l’issue de réformes ou réajustements structurels solides aptes à éviter que de pareilles situations ne se reproduisent pour ternir davantage l’image de marque léguée par d’illustres anciens !
La revue et l’adaptation des textes et règlements est une nécessité périodique de survie dynamique : croire que tous les textes et règlements qui définissaient le cadre de service de nos grands anciens de 1960 peuvent régir le cadre de service des personnels de sécurité d’aujourd’hui ne nous parait guère raisonnable dans un environnement mondial qui a totalement changé. Certains d’entre eux méritent assurément plus qu’un toilettage !
Finalement, au-delà des sanctions et poursuites judiciaires presqu’inévitables – prises en compte dés le départ par tout déclencheur d’alerte conscient - et des mouvements de la société civile ou de populations à prévoir, il nous parait urgent d’explorer des pistes susceptibles :
• De limiter, au mieux freiner définitivement, la répétition d’une telle situation en mettant en place une structure de recours spécifique,
• De renforcer la transparence dans l’administration des organismes de sécurité, au niveau individuel et collectif
• De renforcer le contrôle démocratique des forces de sécurité par l’assemblée nationale
• De renforcer le contrôle citoyen des forces de sécurité selon les normes internationales existantes.

Mesures ou mécanismes à mettre en place pour améliorer la gouvernance du secteur de sécurité national

Comme indiqué plus haut les solutions recommandées ont pour objet la mise en place d’un cadrage institutionnel apte à instaurer ou renforcer la bonne gouvernance, la transparence, la redevabilité, les droits humains, le contrôle démocratique effectif par l’assemblée nationale et une appropriation plus marquée de ces principes par les forces de sécurité :

1. Mise en place d’un Médiateur militaire (Military Ombudsman)

La tendance notée depuis quelques années de voir les contentieux entre personnels de sécurité et leurs chefs ou leur organisation se retrouver dans la presse exige la mise en place d’une structure militaire de recours, indépendante pour traiter ces problèmes avec équité en préservant la cohésion et l’aptitude opérationnelle des formations de sécurité. L’absence d’une structure ou d’une autorité indépendante de recours face à ce qui peut être perçu – à tort ou à raison - comme une injustice notoire des chefs hiérarchiques ou de leur organisation - comme déjà souligné avec pertinence par un cadre bien expérimenté comme le Commissaire Cheikh N’Diaye - doit être corrigée afin de canaliser et traiter les frustrations et autres besoins de justice et d’équité de la part des subordonnés et autres personnels .
A titre d’exemples, les mutilés et invalides militaires ont bataillé des années durant avant d’être écoutés et voir leurs problèmes réglés par un engagement personnel du Président de la république actuel, les problèmes de mutuelle des armées se sont également retrouvés dans la presse tandis que les conflits afférents aux logements de Terme Sud à Ouakam nous sont rapportés récemment par les média au moment où le dossier serait en instruction au niveau de la justice ! Comme pour Keita et Ndao, et pour bien d’autres, la mise en place d’un organe interne de recours comme le Bureau du Médiateur Militaire aurait permis de régler convenablement tous leurs problèmes, et bien d’autres, « sans tambour ni trompette » !
Le Médiateur Militaire, qui pourrait engerber tours les corps militaires et paramilitaires pour le Sénégal, est « un mécanisme indépendant de la chaine de commandement militaire, qui exerce une surveillance sur le secteur de la sécurité et aide à s’assurer que ce dernier respecte les principes et pratiques de bonne gouvernance. Il s’occupe des plaintes pour comportements incorrects et/ou abusifs au sein de l’armée, des limitations des procédures militaires et formule des recommandations destinées à donner lieu à des actions correctives » (DCAF (Centre du Contrôle Démocratique des Armées de Genève).
L’Afrique du Sud, premier au niveau du continent, a inauguré le 14 mai 2012 son bureau du Médiateur Militaire / Military Ombudsman ‘s Office dirigé par un général à la retraite. Les modèles ne manquent pas entre l’Allemagne, l’Angleterre, le Canada, les Etats Unis, Israël, la Hollande, la Norvège tandis qu’en France l’ADEFDROMIL (Association de défense des droits des militaires) mène un plaidoyer intense pour la mise en place d’une structure identique face aux brimades, discriminations et autres dysfonctionnements dans les forces de sécurité !
La régulation sociale assurée par le Bureau Médiateur Militaire permettra aux personnels de renforcer leur disponibilité opérationnelle, surtout dans un milieu militaire où l’écart minimal des différences d’âge et la détention des mêmes diplômes apparaissent souvent comme des motifs d’une difficile soumission à l’autorité désignée.

2. Marchés des forces de sécurité aux normes de l’autorité nationale de régulation des marchés publics (ARMP)

C’est une recommandation forte de tous les instituts et centres de recherche qui étudient les solutions à adopter pour arrêter la corruption dans les forces de sécurité en Afrique !
Comme au niveau du secteur de l’administration publique, c’est bien le gré à gré et l’abus régulier qui en est fait qui favorise le cycle surfacturation – détournement de deniers – livraison de matériels de mauvaise qualité – et absence totale de livraison progressivement !
Des armées, police et gendarmerie étrangères à travers le monde ont plus de moyens logistiques et équipements que nos services de sécurité et n’osent jamais enfreindre la procédure nationale de marchés publics pour des appels d’offres nationaux ou internationaux !
Le recours abusif à la recherche de procédures d’exemption doit être contrôlé et limité. La notion de secret défense ne peut plus servir d’alibi, ni le manque de formation des personnels administratifs d’autant plus que les cadres des Agences de régulation des marchés publics sont toujours prêts à assurer des ateliers de renforcement de capacité à la demande , dans tous les pays où la volonté politique a été déterminante !

3. Contrôle démocratique effectif des forces de défense et de sécurité

Une autre recommandation forte est le fonctionnement opérationnel de la commission de défense de l’assemblée nationale qui demeure le seul gage de contrôle démocratique effectif des forces de défense et de sécurité par les parlementaires au nom de leurs mandants, à savoir toute la population du pays !
C’est le seul organe d’audit dont dispose la population à travers ses députés pour connaitre de l’état de ses forces de sécurité !
La commission de défense doit non seulement établir un calendrier annuel d’activités au niveau national et international compte tenu des opérations extérieures, mais également produire un rapport annuel sur l’état des forces de défense et de sécurité à soumettre à l’appréciation du chef des armées.
Des progrès limités sont notés au niveau de certains pays africains – encore peu nombreux malheureusement - qui voient régulièrement par le biais des média les membres de leurs commissions de défense respectives inspecter les cantonnements et les troupes.
Les partis politiques et l’assemblée nationale voient leurs responsabilités engagées à ce sujet : les premiers pour ne pas assumer en temps opportun la formation ou l’accoutumance de certains de leurs membres aux problèmes de défense, la seconde pour ne pas entreprendre le renforcement périodique des capacités des membres de la commission de défense.

4. Déclaration de patrimoine avant, pendant et après

Voila une autre recommandation forte en application de l’article 7 de la Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (CUAPLC) mentionnée plus haut.
Sa mise en œuvre découle d’une volonté politique affirmée de l’état alors que toute dérogation est souvent interprétée comme une aubaine et devient progressivement une porte ouverte à de nombreux abus.
La nouvelle loi sur l’obligation de déclaration de patrimoine, qui ne mentionne que les officiers généraux en qualité de membres du Haut commandement de la Force publique, dans la catégorie fonctionnaires et autres agents de l’administration publique, mérite d’être élargie aux commandants d’armées et directeurs de services, ou fonctions assimilées, et tout administrateur de crédits, pour plus d’équilibre.
Si l’adoption des quatre propositions ci-dessus relève surtout de la volonté politique et de l’engagement de l’état, la cinquième est d’abord du ressort de la société civile, particulièrement du Forum Civil représentant local de Transparency International au Sénégal :

5. Adhésion au Programme Défense et Sécurité Internationale (International Defence and Security Programme) de Transparency International (TI-DSP)

Le Programme TI-DSP a pour mission d’améliorer la transparence et réduire les niveaux de corruption au sein des forces de défense et de sécurité, et de renforcer les capacités de la société civile en matière de sécurité. A cet effet il assiste les pays dans la mise en place d’une antenne nationale, la formation des personnels de sécurité sur les thèmes de prévention et lutte contre la corruption dans les forces de sécurité, l’évaluation des risques et de vulnérabilité des organismes de sécurité face à la corruption ; il organise également des séminaires périodiques et assure la publication de documents qui reviennent sur les expériences vécues et bonnes pratiques dans le domaine à travers le monde .
Nous recommandons vivement au Forum Civil de prendre d’urgence, en liaison avec Transparency International, les mesures idoines pour la mise en place d’une antenne (Chapter) au Sénégal et de faire un plaidoyer auprès du Chef de l’état et des autorités concernées pour une collaboration apaisée et positive.
Le Programme TI-DSP est également en partenariat avec le CEDEAO et l’Union Africaine (UA).
Il est assurément temps que le Sénégal rejoigne rapidement ce programme, à l’image du Bénin ou de l’Afrique du Sud pour ne citer que ceux là !

6. Participation annuelle du Sénégal au Government Defence Anti-Corruption Index (GI) / Index Anti-corruption dans le secteur de la Défense

Comme Moody’s , Standard & Poor’s ou Fitch pour l’économie mondiale , le Government Defence Anti-corruption Index ( GI ) est le premier système global , ou agence , d’analyse des risques de corruption au niveau des organismes des risques de corruption dans les organismes de défense à travers le monde ainsi que leur vulnérabilité. Il fournit à l’issue aux gouvernements, forces de défense et sécurité, société civile et citoyens, par le biais de rapports et enquêtes, les outils pour éradiquer les dysfonctionnements que la corruption peut créer au sein des forces de sécurité.
Là également le Sénégal devrait être en mesure de rejoindre ce programme et retrouver ses homologues habituels comme le Ghana, le Burundi, l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Cote d’Ivoire, le Bénin, l’Ethiopie entre autres !
Ce, en attendant qu’à l’issue de la phase test présentement en cours au niveau des pays africains volontaires, les Indicateurs de Gouvernance, Paix et Sécurité (GPS) adoptés par l’Union Africaine en 2012 à Yamoussoukro dans le cadre de la stratégie pour l’harmonisation des statistiques en Afrique (SHaSA) offrent définitivement au continent un standard commun d’évaluation et de notation des forces de sécurité.
Encore une fois c’est une initiative à entamer d’urgence par le Forum Civil, en partenariat avec d’autres partenaires nationaux et internationaux éventuellement.
Notons d’ailleurs qu’il existe aussi le Defence Companies Anti-Corruption Index (CI) qui s’occupe des grandes compagnies fournisseurs d’équipements et matériels aux forces de sécurité à travers le monde.

Conclusion

Voilà donc la quintessence des éclaircissements que nous – retraité depuis 1993 mais bénéficiant depuis lors de l’opportunité de suivre les problèmes de sécurité à travers le continent - souhaitions partager avec vous face à ce premier cas ouvert de « whistleblowing » au Sénégal : la situation nous paraissait trop sérieuse pour ne pas prendre le temps de procéder à des recherches et réflexions susceptibles d’aider à la déconstruction du dossier.
Le secteur de la sécurité n’est plus le secteur réservé des seuls militaires ou gouvernants, la société civile et les citoyens ont droit à l’information correcte et en temps opportun : difficile certes à accepter entièrement par les premiers mais le monde a changé et les libertés fondamentales – droits humains et liberté d’expression surtout - sont devenues des priorités critiques pour les sociétés démocratiques.
A cet égard nous ne saurions finir sans rappeler encore une fois le rôle que doivent jouer concomitamment l’assemblée nationale – surtout sa commission de défense – et la société civile dans la promotion du contrôle démocratique des forces de défense et de sécurité : elles le doivent en priorité à leurs mandants que sont respectivement la population et l’opinion publique !
Le besoin, voire l’exigence d’information, pour être rassuré et se sentir en sécurité est une obligation due à toute population civile dans les pays dits démocratiques : mieux, il est désormais inclus dans les indicateurs de paix et de sécurité (GPS) ci-dessus cités !
Une de nos concitoyennes l’a bien exprimé dans les médias ces jours ci : « en ce 21éme siècle , les textes obsolètes de la défense nationale doivent être réformés, remis en question et toilettés à l’aune des exigences de modernité , de gestion vertueuse et transparente , et de bonne gouvernance dans une société désormais ouverte et mature . Le pouvoir politique et la sécurité nationale ne peuvent prospérer dans leur bulle en dehors de cette exigence citoyenne planétaire » ! (3)
Face aux déclencheurs d’alerte seules une posture d’anticipation et une politique d’écoute, d’évaluation et de réformes ou réajustements – là où il faut et quand il le faut – permettent aux états et à leurs démembrements institutionnels de gérer la crise positivement, avec objectivité et équité !
Puisse Dieu leur accorder cette patience !

Je vous remercie de votre aimable attention !

Alioune Diop, Colonel (Er)
Conseiller Principal Sécurité
des Nations Unies en retraite
Expert – Consultant
Sécurité – Défense – Réinsertion
Email : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Aout 2014
(1) Business as usual : expression anglaise signifiant : faire les affaires comme d’habitude ou comme si de rien n’était !
(2) « déclencher une alerte éthique est la révélation, par une personne, d’habitude un employé d’une agence gouvernementale ou privée, au public ou à ceux qui ont la charge de l’autorité, d’actes de mauvaise gestion, corruption, activités illégales ou tout autre méfait »
(3) Source : Leral.net : contribution de Mme Fall
(4) Document disponible dans mon blog : aldiop30 

 

 

source :http://www.leral.net/Livre-du-Colonel-Ndao-Opportunite-de-reformes-Ou-Business-as-usual-Par-Colonel-Alioune-Diop_a121697.html