Samedi soir, Liberté 6 était mis à l'honneur. Un concert organisé à l'occasion de la fête de la musique a réuni plusieurs artistes. Parmi eux, le rappeur Duggy-Tee, pour qui ce fut un moment spécial, lui étant originaire du quartier. Nous l'avons rencontré au lendemain de la fête. Liberté 6 n’a aucun secret pour Amadou Barry alias Duggy-Tee. En effet, l’ancien membre des Positive Black Soul (PBS) a grandi dans le quartier et y habite toujours. D’ailleurs le concert, organisé par la chaine 2STV, s’est déroulé sur le terrain de foot situé aux portes de son domicile. Au lendemain de sa prestation, Duggy nous a reçu pour une interview exclusive.
Comment vous sentez-vous au lendemain de cette grande soirée ?
Fatigué (il sourit), un peu épuisé mais très satisfait. Ça a été une réussite pour cette première édition. Dieu merci tout s’est bien passé. Ce qui m’a fait plaisir est qu’aucun incident n’est à déplorer. Pour une première édition c’est fantastique et j’en remercie le bon Dieu.
D’où vous est venue l’idée de ce concert ?
Il fallait que je fasse quelque chose dans mon quartier. J’ai sillonné le monde, j’ai été sur tous les continents mais paradoxalement je n’ai jamais fait quelque chose de grand pour les gens d’ici. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Depuis le début de ma carrière, je travaille avec 2STV, il y a des liens de parenté mais aussi une forte amitié qui nous lie. Il faut rappeler que c’est la première chaine privée du Sénégal. Au départ, 2STV est venu vers moi car j’en avais parlé à Abdoul Ndiaye (le directeur). De là, il m’a demandé si je faisais toujours mon festival, je lui ai répondu que oui. Puis nous avons décidé de fusionner les deux évènements. Désormais ce festival va se tenir chaque année.
Qu’est ce que ça vous fait de chanter à Liberté 6, chez vous, devant famille et amis ?
Ça m’a fait énormément plaisir. J’étais tellement heureux que j’en suis venu à m’émouvoir sur scène. À un moment, je me suis déversé sans savoir pourquoi. Avant tout, ce qui m’a fait chaud au cœur, c’est que les enfants, les personnes âgées étaient là jusqu’à quatre heures du matin. J’ai vu des gens habitant le quartier mais avec qui je n’ai pas forcément de contacts. Il y avait également des gens qui habitent très loin mais sont venus avec des cars rapides, que ce soit de Guédiawaye ou Thiaroye. Ça m’a renvoyé une image d’unité. Donc, j’ai été très ému.
Est-ce important pour vous de ne pas oublier d’où l’on vient ?
Il y a un proverbe de chez nous, qui dit « Si tu ne sais pas où aller, retourne d’où tu viens ». C’est un repère, si l’on oublie d’où l’on vient, nous sommes perdus. Je suis né et j’ai grandi à « Capsi ». C’est vrai que j’ai passé quelques années en France mais « Capsi » est en moi. C’est mon adresse, mon identité, ma famille, mes voisins, mes amis d’enfance… etc. C’est très important pour moi.
Qu’est ce que peut apporter la musique à la société ?
La musique est un vecteur de communication très puissant mais il faut savoir s’en servir. C’est un outil difficile à manipuler. Dans la musique, certains abordent des thèmes sociaux et d’autres le font uniquement par business. Dans le fond, on fait tous du business. Dès lors que nous gagnons de l’argent, comme lorsque nous vendons un CD, c’est commercial. La musique est un outil qu’il faut utiliser à bon escient pour sensibiliser les gens, aborder des thèmes objectifs et constructifs.
Parlez nous de votre initiative «Capsitude».
C’est quelque chose qui me hante depuis un moment. Il se nomme « Capsitude » mais est applicable dans tous les quartiers. C’est un mouvement social et citoyen que je vais créer. Il sera axé sur la sécurité, l’environnement et l’emploi des jeunes. Je me suis rendu compte que les jeunes sombrent de plus en plus dans l’alcoolisme et l’oisiveté. Je crois que le fait de tomber dans ces vices là c’est qu’ils n’ont rien à faire. Je me suis dit qu’on ne peut pas tout attendre du gouvernement. Nous tendons la main à plusieurs reprises à tel point que dès que nous tendons la main pour dire bonjour, cela passe pour une demande. Nous devons nous préoccuper de nous même, par nous même. Nous sommes les premières victimes de la délinquance et l’insalubrité. Ces jeunes boivent de l’alcool frelaté d’une très mauvaise qualité et qui peut être nocif pour la santé. Ils deviennent tous fous, ont des comportements bizarres et vieillissent vite… Je me suis dit qu’il fallait récupérer cette jeunesse, la responsabiliser. Mon plan est de recruter des jeunes qui sont dans la rue à discuter et se saouler toute la nuit. Nous allons former des équipes de sécurité et de nettoyage. Nous allons les payer nous même.
Comment ?
Prenons par exemple liberté 6, il y a près de 6000 logements. Si chaque maison daigne de donner, ne serait-ce que 1000 francs par mois pour sa sécurité et la propreté de son quartier, nous pourrons payer ces jeunes. Ils vont s’organiser, auront leur bureau, des comptes en banque mais plus important : un sens du devoir et de la responsabilité. Ils seront payés à chaque fin de mois. Tout le monde sera gagnant : eux seront payés et notre quartier sera propre et sécurisé. Ce qui me plairait c’est qu’il y ait une compétition nationale, que tous les quartiers en fassent autant, qu’il y ait un «battle» positive et là, le Sénégal en sera le grand gagnant : Tous les touristes vont revenir et tout le monde sera content.
Ne craignez-vous pas une récupération politique si ce mouvement venait à réussir ?
La personne que je suis, je ne pense pas qu’ils puissent me récupérer. Si un jour, je devais faire de la politique ce ne sera jamais par récupération mais par conviction. Quand les gens s’approprient un programme, c’est qu’il est de qualité. Donc, je le vois positivement. C’est vrai que le gouvernement n’aime pas que les gens fassent le travail à sa place. Ce sont des idées simples, ils auraient pu le faire mais ils ne se sentent pas concernés. Ils sont dans leurs belles villas, ont tout ce qu’ils désirent, leurs enfants étudient à l’étranger dans des universités qui coûtent des millions par an en frais de scolarité. Si les politiques trouvent que le programme est intéressant, ils peuvent l’appliquer mais je veillerais à ce qu’il n’y ait pas d’escroquerie envers les jeunes.
Personnellement, où en êtes-vous dans votre carrière ? Quels sont vos prochains projets artistiques ?
Mon prochain projet est album qui va se nommer Jom ce qui signifie honneur. En fait, c’est une trilogie : Ngom, (foi), Fit (courage) et Jom (honneur). Pour moi, ce sont trois choses dont tout homme à besoin pour avancer dans la vie. Fit est sorti juste avant la Présidentielle de 2012 et les évènements ont fait que l’album est passé inaperçu. C’est un excellent album, un double-album de 26 titres où l’on retrouve toute sorte de musique sénégalaise : Youssou N’dour, Baaba Maal, Omar Pene, Coumba Gawlo Seck., Soprano… etc. Jom ne sera pas un double-album, il y aura 12 titres et il en vaudra la peine.