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jeudi, 03 avril 2014 00:00

PR FELWINE SARR, AGRÉGÉ EN ÉCONOMIE, DOYEN DE LA FACULTÉ ECONOMIE ET DE GESTION DE UNIVERSITÉ GASTON BERGER « Nos leaders manquent d’ascétisme et d’esprit de renoncement »

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Pour le Pr Felwine Sarr, aucun pays ne peut s’en sortir en comptant principalement sur l’aide extérieure. Bien au contraire dit-il, elle entretient un cercle vicieux de dépendance, de corruption, d’entraves au développement d’opportunités productives locales. Tout en appelant à rompre avec les mythes occidentaux et à inventer notre propre futur, il déplore le fait que nos leaders manquent d’ascétisme et d‘esprit de renoncement.

 

 

Le Sénégal fête ce 4 avril 2014, ses 54 années d’indépendance. Et pourtant, le voilà, plus d’un demi-siècle après, à élaborer un Plan Sénégal Emergent (PSE) à la suite  des programmes d’ajustements structurels et de lutte contre la pauvreté. A quoi renvoie  ce concept d’émergence ?  
 
Le concept d’émergence est né dans les années 1980 pour désigner les pays en développement dont les marchés boursiers offraient des opportunités pour les investisseurs. L’économiste néerlandais, Antoine Van Agtmael, en est semble t-il le créateur. Par la suite, les pays émergents ont désigné les pays en développement qui n’étaient plus classés dans la catégorie pays moins avancés (PMA) et dont l’important potentiel et les dynamiques économiques en cours laissaient présager une sortie prochaine du sous-développement (Brésil, Russie, Inde, Chine). La diversité des structures économiques des pays émergents rend cependant difficile le consensus autour de la notion d’émergence, elle a des contours qui demeurent encore assez imprécis. On peut cependant noter quelques caractéristiques qui sont communes aux pays dits émergents : une intégration grandissante dans le commerce international, une démographie et une main d’œuvre importante, une attractivité des flux de capitaux et une bonne intégration aux marchés de capitaux internationaux, un fort investissement en recherche et développement, une bonne diversification de l’appareil productif et un important rôle stratégique de l’Etat dans les investissements.
 
Le Sénégal est en effet bien loin de cela. Quelles en sont les raisons ?
 
Les raisons du non décollage économique en dépit de notre stabilité politique et de notre relatif bon niveau de capital humain sont multiples. On pourrait citer l’absence peu ou prou de vision stratégique économique de long terme, un environnement international pas toujours favorable, une inadéquation des modèles économiques et politiques à nos réalités sociologiques et culturelles, etc. Nous sommes passés d’un modèle développementiste aux contours imprécis dans les années 70, aux programmes d’ajustements structurels dans les années 1980, aux DSRP et aux autres OMD. Bien sûr, il faut éradiquer la pauvreté, améliorer les conditions de vie des populations, satisfaire les différents besoins nutritionnels, sanitaires, éducationnels, mais aussi spirituels et civilisationnels. 
 
Que n’a-t-on pu le faire depuis longtemps ?
 
 Il faut bien admettre que tous ces programmes que nous avons adoptés sous l’injonction de volontés autres que les nôtres, révèlent tout simplement une absence d’autonomie dans la définition de nos politiques économiques. De plus, nous avons hérité du colonialisme, des structures économiques handicapantes caractérisées par un appareil productif faiblement diversifié, une forte  spécialisation sur des produits primaires qui rend notre économie vulnérable aux chocs exogènes (chocs climatiques, cours des matières premières)… Nous avons également raté des virages importants relatifs à des choix d’investissement en capital humain mieux corrélés aux besoins de nos économies, à un défaut de priorisation, les questions liées à la sécurité alimentaire, à la santé, à l’éducation et aux infrastructures devaient être les priorités de la première décennie de nos indépendances.
 
Que fallait-il privilégier alors ?
 
Nous devions privilégier des options de politique économique consistant en   une transformation structurelle de notre économie en les fondant sur nos atouts,  nos potentialités et notre culture ; opérer de bons choix de modèles de croissance en définissant les forces sociales qui devaient être porteuses de cette croissance, en lieu et place de cela, nous avons plutôt assisté à des non-choix, installés que nous étions dans une barque qui voguait au gré des vents capricieux.
 
Peut-on s’attendre à un redressement de la barre, vu qu’au retour du Groupe consultatif de Paris, le Sénégal a récolté des bailleurs de fonds une moisson de promesses (presque 6 mille milliards de FCFA sur un peu moins de 2 mille milliards escomptés)?
 
Il faudrait d’abord souligner que c’est une bonne chose d’avoir une vision stratégique économique à moyen et long terme. Il n’est point de bon vent pour qui ne sait où aller disait le vieux Sénéque. Nous devions avoir une vision prospective de notre économie avec des objectifs précis à court, moyen et long terme, de telle sorte que nous puissions articuler une politique économique cohérente fondée sur nos moteurs de croissance et capable de répondre à nos besoins. De cette façon, si l’environnement change, puisque nous avons clairement fixé un cap, nous pouvons réadapter la stratégie. De plus, il est nécessaire d’avoir des utopies mobilisatrices. Comme signe, le PSE pourrait jouer ce rôle.
 
Toutefois n’y a-t-il pas lieu d’être quelque peu circonspect si l’on sait que la moisson du PSE se réduit pour le moment à une somme d’engagements ?
 
Absolument. Mais ce qu’il faut préciser, c’est que le PSE nécessite environ 10 000 milliards de FCFA et qu’initialement le Sénégal devait lui-même financer l’essentiel de ce projet. Il est allé chercher des ressources additionnelles pour financer le plan d’actions prioritaires du PSE 2014-2018 (environ 2000 milliards de FCFA chez les PTF et 1111 milliards de F CFA auprès du secteur privé). Ces engagements, comme leur nom l’indique, ne sont que des engagements. Il faudra que le Sénégal réussisse à faire en sorte que ces sommes soient effectivement décaissées en présentant des garanties sur l’opérationnalisation, la viabilité et la rentabilité des projets qu’il a présentés et qui ont séduit les bailleurs de fonds. Ce qui signifie que le plus dur reste à faire : la mise en œuvre effective du plan, son suivi-évaluation, la mise en commun de ressources, de compétences et de qualités managériales capables de mener à bien les projets, des réformes visant à rendre notre administration plus efficiente, etc. Par ailleurs, ces sommes représenteront pour l’essentiel une dette que les générations futures devront rembourser, d’où l’absolue nécessité de la productivité de ces investissements.
 
Au regard de tout cela, est-il indiqué de penser qu’un pays puisse s’en sortir en s’appuyant sur l’aide extérieure ?
 
Aucun pays ne s’est développé en comptant principalement sur l’aide extérieure, l’histoire le montre. Celle-ci lorsqu’elle est bien utilisée peut être un facteur parmi tant d’autres de progrès économique. Dambiza Moyo, l’économiste Tanzanienne a cependant montré que sur le continent africain, les effets néfastes de l’aide ont supplanté ses effets positifs. Malgré des sommes faramineuses injectées, pas de décollage économique et paradoxalement les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui sont moins dépendants de l’aide extérieure. 
 
Est-ce à dire que l’aide a des effets pervers ?
 
L’aide entretient en effet un cercle vicieux de dépendance, de corruption parfois, de distorsion de marchés, d’incitations perverses, d’entraves au développement d’opportunités productives locales. A cela s’ajoutent toutes les difficultés liées aux conditionnalités, à l’aide-liée, aux capacités d’absorption des pays. Le plus grave à mon sens sont les effets psychologiques d’une sémiotique handicapante qui tue l’initiative, en inhibant le sentiment de ses propres capacités à se prendre en charge. Léonce Ndikumana, économiste burundais, montre que l’Afrique est un continent exportateur net de capitaux (944 milliards de dollars ont quitté le continent de 1970 à 2008) et pourtant nous continuons à nous dire sous le mode du déficit et du manque et à nous dépeindre sous le vocable de ceux qui sont éternellement aidés. Au Sénégal, les transferts de fonds des migrants représentent deux fois l’aide publique au développement et pourtant nous continuons à avoir le sentiment que le salut viendra fatalement de l’extérieur.
 
Les autorités semblent pourtant se focaliser beaucoup sur l’aide au développement. N’est-ce pas paradoxal ?
 
 Cela est tout à fait vrai. Observez comment la communication autour des engagements des bailleurs de fonds sur le PSE a été menée. L’accent a été mis sur la contribution extérieure, en passant presque sous silence le fait que plus de la moitié du budget total du plan doit être financée par l’Etat du Sénégal, sur ses ressources propres. Cette manière de faire en dit long sur la conscience que nous avons de nos propres capacités.
 
Sur quels leviers faudrait-il appuyer aux plans économique, social et politique pour espérer mettre le Sénégal sur les rails de l’émergence économique ?
 
La vraie question à mon avis n’est même pas celle de l’émergence économique. Elle est celle de donner un contenu qui nous soit propre au projet de société qui est le nôtre. Il s’agit d’en finir avec les mythes occidentaux et d’élaborer nos propres métaphores pour désigner les futurs que nous nous choisirons. Penser par et pour nous–mêmes notre destin et notre devenir. Les processus de décolonisation ne seront achevés que lorsque nous  parachèverons la décolonisation conceptuelle.
 
Comment faudrait-il s’y prendre selon vous ?
 
L’idée c’est de répondre à nos besoins par un projet de société, mais surtout en fondant sur nos  sociocultures, une vision du progrès qui est la nôtre et en l’investissant de significations que nous aurions choisies parce qu’elles reflètent notre projet de civilisation. Ceci me semble fondamental et va au-delà du fait de savoir si nous devons « émerger » ou pas, oui certes il faut « émerger », mais de ce sommeil-là qui fait que nous laissons toujours aux autres le soin de définir qui nous sommes et où nous devons aller. C’est à nous de définir notre échelle de valeurs sociétales, de fixer les équilibres entre l’économique, le culturel, le spirituel, l’éthique, qui nous semblent pertinents en accord avec notre vision des finalités de l’aventure sociale. Ce nouveau terme d’émergence est un avatar de toutes les autres téléologies qui nous ont été vendues comme la seule voie possible. 
 
Le jour où nous ferons ce travail et que nous fonctionnerons sur nos vrais moteurs, nous n’émergerons pas seulement, nous nous envolerons et porterons l’humanité à un autre niveau.
 
Pensez-vous que la génération née après l’indépendance  et qui est actuellement au pouvoir puisse relever  ce défi ou plutôt ce déficit de leadership dont souffre le Sénégal ?  
 
Les signes que nous observons ne l’indiquent pas. Aucune rupture fondamentale n’est notée chez cette jeune génération qui est actuellement aux commandes, ainsi d’ailleurs que chez les moins jeunes. Toujours la même mentalité prédatrice de ressources publiques : très peu d’idéal pour nos pays et nos institutions. De la plus grande à la plus petite échelle, dans n’importe quelle administration, nous cherchons à nous nourrir sur la bête. Le système est pernicieux parce qu’au lieu de promouvoir les comportements vertueux, il élimine ceux qui refusent de participer à la curée.
 
Comment en est-on arrivé là ?
 
 Nos leaders manquent d’ascétisme et d’esprit de renoncement, ils ne sont pas habités par le sentiment du sacerdoce dans l’accomplissement de leurs missions, et par l’ambition inflexible de servir les intérêts du grand nombre, en oubliant les leurs, en payant de leur longévité politique s’il le faut…. Prendre de telles responsabilités, devrait être le fruit d’un long travail sur soi, sur ses motivations profondes, débusquer en soi l’ambition intime, le désir de pouvoir plus que de servir, qui peut se cacher derrière des motivations déclarées altruistes. Le pouvoir est perçu comme une jouissance et non comme un agir devant transformer qualitativement le réel. 
 
Quel est alors ce petit quelque chose de si indispensable qui manque à nos leaders ?
 
Il leur manque une mentalité d’ensemenceur qui accepte sereinement de ne pas récolter les fruits de son labeur. Etre du bond et non du festin disait René Char. Cette ambition qui doit générer une volonté inflexible et une fermeté dans le choix des hommes, des procédures, des cadres d’actions, une capacité à opérer des choix impopulaires, coûteux, mais absolument nécessaires pour le pays, je ne la sens hélas pas sourdre chez nos leaders. Peut-être devons nous interroger notre conception et nos représentations du pouvoir et de la responsabilité.

 

source: http://www.sudonline.sn/-nos-leaders-manquent-d-ascetisme-et-d-esprit-de-renoncement-_a_18271.html

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