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mercredi, 21 mai 2014 00:00

Sénégal - Pourquoi les riches préfèrent l’aumône au mécénat

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Les Sénégalais sont réputés très généreux envers les mendiants, ce qui a d’ailleurs créé un appel d’air qui se manifeste par une présence massive de ces derniers, venus souvent de la sous-région, dans tout le pays et particulièrement à Dakar. Toutefois, on a remarqué que nos compatriotes, même riches, n’innovent pas dans ce domaine et préfèrent généralement donner l’aumône aux mendiants rencontrés dans la rue plutôt que de soutenir par le mécénat des institutions qui sont dans le besoin. Question de culture avec l’instrumentalisation de l’aumône comme protection contre le malheur ou alors simple ignorance, le dossier du "Soleil" répond à ces interrogations.

Dakar, plaque tournante de la mendicité
Le phénomène est courant ; il est presque général. La mendicité a fini par se greffer au paysage de la capitale sénégalaise. Autant dans les grandes artères, les rues secondaires que dans les coins et recoins les plus inimaginables, les mendiants sont partout visibles.

La soixantaine révolue, mine assombrie, regard pensif, teint noirceur d’ébène, cette dame trouvée dans les alentours de Fass Mbao s’adonne à  la mendicité. Adama Diagne s’installe quotidiennement dans ces lieux. Elle se lève de très bonne heure munie de son seau à la recherche de « l’espoir ». « Je viens ici chaque matin, avec le seul souhait de rencontrer la bonté du Tout-puissant qui se manifeste à travers la charité de certaines de ses créatures », affirme la dame. Veuve et mère de famille en provenance du Baol, Adama assure ne pas avoir le choix. « Si cela ne tenait qu’à moi, je ferai autre chose que mendier. Seulement les conditions sont telles que je n’ai pas de revenus. Je n’ai que deux enfants qui travaillent certes, mais dont la paye est trop maigre pour qu’ils puissent prendre convenablement en charge leurs épouses et moi », raconte-t-elle.

Venue à Dakar il y a tout juste une dizaine d’années, Adama assure s’être dans un premier temps investie dans le travail domestique. Vu son âge avancé, elle n’a pas pu tenir le coup longtemps. Les gens étaient d’autre part sceptiques à engager une personne d’un âge assez avancé. De fait, elle a choisi, malgré elle, de tendre la main pour pouvoir survivre, confie-t-elle.

Recommandation ou bonté ?
A côté de la dame, se tiennent des enfants en file indienne. Ces derniers tendent la main malgré l’interdit de leur maître, ou du moins certains d’entre eux. Alpha, 12 ans, confie : « Au début nous venions mendier la pitance. Il s’est absenté ces temps-ci pour se rendre au village. Il nous avait demandé de faire pareil, mais nous avons préféré rester pour nous  faire de l’argent au lieu de rester au village à perdre du temps ». Pratiquée par les couches les plus démunies, la mendicité a divers soubassements : tradition, précarité,  religion, etc. Tous ceux qui s’y adonnent ont cependant un dénominateur commun : la pauvreté. Aussi, hommes, femmes et enfants, toutes les tranches d’âge s’adonnent de cette activité qui draine un grand nombre d’individus. Ce qui, au début, relève d’un esprit fait d’entraide et de solidarité a fini par prendre les allures d’un « business ». Ils sont en effet de plus en plus nombreux à faire le déplacement vers la capitale du Sénégal, dans le seul but de s’adonner à la mendicité.

Autrefois, la demande de charité était l’apanage d’enfants talibés à la recherche de victuailles, de personnes atteintes d’handicap frappées par l’incapacité de travailler ou encore d’individus d’un âge assez avancé ne pouvant plus subvenir à leur besoins vitaux.

Aujourd’hui,  le décor est tout autre. Certes la majeure partie de ceux qui s’adonnent à l’activité sont frappées d’handicap, mais il y a également des personnes totalement aptes, de surcroît jeunes, qui font quand même la manche. Les motivations qui poussent les Sénégalais à donner l’aumône sont nombreuses et variées. Certains le font par pure recommandation maraboutique. D’autres, animés par un esprit de solidarité et de partage, n’hésitent pas à donner l’aumône. Il y a en dernier ressort ceux qui donnent suivant les recommandations de leur religion.  La zakat, ou aumône purificatrice, constitue en effet le troisième pilier de l’Islam. Le but de l’aumône purificatrice légale est de réaliser l’équilibre et la justice sociale, d’empêcher le monopole de l’argent par les riches et encourager la circulation des biens.

Par Oumar BA

Flux en provenance de la sous-région
«Ceux qui sont adeptes d’aumônes recommandés nous servent souvent les mêmes produits : cola, bougie, lait, biscuit, poulets ou encore de la chair de vache ou de mouton. Autrefois, c’était plus les personnes d’un âge assez avancé qui s’adonner à ce genre d’offrandes. Mais aujourd’hui, les temps sont tels que les plus jeunes le font également.  Dans cette frange, les femmes remportent de loin la palme, elles font régulièrement ce genre d’offrande », confie Aminata, 56 ans, d’origine guinéenne. Le Sénégal, à force d’accueillir des personnes de nationalité variée, est en passe de devenir une plaque « tournante de la mendicité ».  En effet, des individus quittent volontairement leur pays pour venir exclusivement s’adonner à la mendicité. Les nationalités sont variées : Guinéens, Maliens, Mauritaniens… La liste n’est pas exhaustive. Cette pratique incite également des individus à se déplacer des campagnes vers les villes où ils trouveront des personnes qui ont les moyens de leur donner l’aumône. D’autre part, la libre circulation des personnes a favorisé la mobilité de certaines populations mendiantes.

« Les Sénégalais réputés accueillants »
Exemple de ce couple malien venu s’installer à Dakar depuis deux ans. Le mari âgé de 60 ans a perdu la vue. L’épouse âgée à peine de 25 années fait office d’accompagnatrice. Ils ont élu quartier  aux Allées du Centenaire. Tous les jours, ils viennent à partir de 6h du matin pour ne quitter qu’au-delà de 20h, confie la dame. « Les Sénégalais sont réputés accueillants, ouverts et solidaires envers les couches démunies. C’est pourquoi nous sommes venus nous installer et sommes plutôt en train de nous en sortir », confie le mari dans un français à peine déchiffrable. Il ne parle en effet aucun mot Wolof, langue la plus parlée de la capitale.

En plus des personnes handicapées de nationalité étrangère exposant à la vue des passants une partie de leur corps ayant subi une ablation, on  rencontre de vieilles personnes, des femmes, des enfants, des mères serrant dans leurs bras un bébé et entourées d’autres enfants. Dans les abords des marchés, aux feux rouges, aux portes des mosquées, bref tous les endroits dans lesquels la  foule se fait dense, ces demandeurs d’aumône supplient et parfois même harcèlent pour recevoir un don.

La principale cause de la mendicité constitue une pauvreté économique et sociale, une persécution voire même parfois une exploitation de certaines populations. Il n’est toutefois jamais facile de savoir si la personne est exploitée, si elle est victime de pauvreté ou si elle est adepte du gain facile. Le public est rarement sûr des véritables motivations du mendiant. Cette incertitude installe parfois le doute chez le donneur.

 

HÔPITAL ALBERT ROYER DE FANN : UN EXEMPLE D’ÉLAN DE SOLIDARITÉ ET DE MÉCÉNAT
Face à une panoplie de charges couvertes par des lignes budgétaires très limitées, des personnes ou autres structures de bonnes volontés viennent à la rescousse à de nombreux établissements publics, notamment ceux évoluant dans l’offre de services sanitaires. C’est le cas du Centre hospitalier Albert Royer de Fann qui reçoit très souvent des dons de différentes natures au bénéfice des patients. En matière d’évaluation, tous les divers appuis reçus par la structure, pour l’année 2013, ont été estimés environ à 20 millions de francs Cfa. 

Outre son budget annuel qui assure une partie de ses besoins pour son fonctionnement, le Centre hospitalier d’enfants Albert Royer de Fann reçoit également du soutien de nombreux partenaires et autres bonnes volontés par le biais de dons de différentes natures. Selon Mansour Dieng, chef du service social de l’hôpital Albert Royer de Fann, ces dons peuvent être classés en trois catégories. Il s’agit des denrées alimentaires comme l’huile, le sucre, le lait ; des matériels médicaux (radios, lits armoires…) et des médicaments.

Elan de solidarité des partenaires sociaux
« Nous faisons un suivi de tous ces dons reçus par l’hôpital quelle que soit leur nature. Nous les recevons suivant les besoins exprimés », a expliqué M. Dieng. Il indique que ces actions viennent appuyer les cas d’enfants dont leurs parents sont dans une situation précaire. « Dans l’hôpital on a des enfants malades chroniques. Et le service social essaie, dans ce cadre, de les accompagner. Ils sont également pris en charge grâce aux dons que nous recevons des mains de bonnes volontés », soutient le patron du service social d’Albert Royer.

Confiant que ceux qui amènent leurs enfants sont très démunis au point que ce sont même les majors qui demandent qu’on accompagne ces patients dont certains ne sont pas en mesure de payer les médicaments. Les partenaires internationaux ne sont pas en reste dans cet élan de solidarité avec cet établissement sanitaire. A en croire le chef du service social d’Albert Royer, le centre hospitalier, par le biais d’un partenariat avec la Croix-Rouge italienne, a récemment reçu un appareil « echodoppler » d’un montant de 14 millions de francs Cfa. S’y ajoute du matériel chirurgical et tout ce qui est accessoires médicaux et paramédicaux. Il y a aussi des structures qui donnent des médicaments. Des structures et autres particuliers comme les banques, les anciennes basketteuses préfèrent faire des dons en espèces qui doivent passer par l’Agent comptable particulier (Acp).

Des associations de solidarités font également des contributions financières. A Albert Royer, il existe une commission de réception des dons composée des membres du service social, du service administratif et financière, du contrôle de gestion et de la comptabilité des matières. Selon M.  Dieng, en matière d’évaluation, tous les appuis reçus pour l’année 2013 ont été estimés à environ 20 millions de francs Cfa.

Environ 20 millions de FCfa en appuis pour 2013
S’agissant des modalités de leur répartition, elles sont faites en fonction des besoins exprimés par les majors des différents services de l’hôpital. « Les budgets sont insuffisants par rapport aux charges de notre établissement, c’est pourquoi l’apport des bonnes volontés est déterminant pour notre fonctionnement. Ici la demande est très forte. En plus, près de 70% des patients nous viennent de la banlieue et des régions de l’intérieur du pays », a laissé entendre Mansour Dieng. Ainsi, en 2013, l’Association des femmes de l’Ipres (Afip) a remis un don composé de denrées alimentaires, de médicaments, de détergents… Ce geste visait à venir en aide aux enfants malades du cancer, du Vih/Sida. En mars 2014, la Fondation « Servir le Sénégal » a offert un respirateur artificiel d’une valeur de plus de 13 millions de FCfa à l’hôpital pour enfants Albert Royer.

Par Abdou DIAW

ABBE ALPHONSE BIRAM NDOUR, DIRECTEUR DE CARITAS DAKAR : « LA PRATIQUE DE L’AUMÔNE DOIT SE FAIRE SANS CONTREPARTIE »
L’Eglise magnifie le fait que certaines personnes, par générosité, donnent de l’aumône aux pauvres pour les aider à faire face au quotidien. Cependant, elle précise que ce geste de charité ne doit pas être motivé par la prédiction des marabouts ou des féticheurs afin d’en recueillir grâce et bénédiction. Selon le directeur de Caritas Dakar, Abbé Alphonse Biram Ndour, elle doit se faire sans contrepartie.

« Dans la plupart des religions, l'aumône est considérée comme une offrande à Dieu. Elle sert à libérer celui qui l'offre du péché et à compenser ses mauvaises actions, de façon à ne pas souffrir des remords de conscience », explique Abbé Alphonse  Biram Ndour, directeur de la Caritas Dakar.  Il précise que faire de l’aumône signifie donc offrir de l'argent ou des biens matériels aux nécessiteux sans contrepartie. « Quand on la donne à l'église, on l'appelle offrande. Et le terme "sans contrepartie" est d’une importance particulière. Dans la Bible nous trouvons quantités de passages qui en parlent », explique le directeur de la Caritas. Il donne plusieurs exemples parmi lesquels  celui du bon samaritain qui a dépensé tout son argent et qui est même prêt à en donner d’avantage sans intérêt.

« On pourrait donc dire que cette pratique s’enracine fortement dans l’amour de Dieu et celui du prochain », argumente le prêtre diocésain. Selon lui, le vénérable Jean Paul II disait que « le chemin de Dieu, c’est l’homme lui-même et par conséquent tout acte que nous posons au nom de Dieu trouve forcément comme bénéficiaire l’homme lui-même ». Dans son commentaire, abbé Alphonse Ndour fait savoir que Saint Paul a donné une définition de l’aumône en soutenant que sans celle-ci, l’homme n’est rien : « Sans la charité, je ne suis rien… ». 

La charité à une personne dans le besoin
« La charité prend patience car elle rend service, elle ne se vante pas, elle ne s’enfle pas d’orgueil, elle ne fait rien de laid, elle ne cherche pas son intérêt, elle ne s’irrite pas, elle n’entretient pas de rancune, elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle trouve sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout. […] Les trois demeurent : la foi, l’espérance et la charité. Mais la charité est la plus grande » (I Co 13, 1-7 », relate abbé Alphonse Biram Ndour en se basant sur l’Ecriture sainte. Il ajoute que l’exemple que les chrétiens prennent dans les Evangiles pour illustrer la charité est la parabole du Bon Samaritain qui prend soin d'un inconnu blessé. Il n’attend rien en retour.  « Pour nous résumer, disons simplement que la mise en pratique de la vertu de charité à l'égard du prochain est une œuvre de bienfaisance, un don, une aumône. Il s'agit alors d'une initiative privée désintéressée, dictée par la foi (chrétienne ou autre). Elle consiste à offrir du temps, un service, de l'amour, de l'argent, des biens matériels... à une personne dans le besoin. Le terme désigne d'une façon générale la vertu qui porte à faire le bien à autrui », commente le religieux chrétien. Selon lui, « contrairement donc au fait de société qui dépeint certains gestes d’aumône comme des prédictions de marabouts ou de féticheurs afin d’en recueillir grâce et bénédiction, il faudrait retenir que l’aumône est destinée à l’aide au prochain plutôt qu’à un avantage que l’on pourrait avoir ». Elle s’appuie sur le principe de la gratuité et de la générosité.

Par Eugène KALY

 

OBLIGATION D’ENTRAIDE : LA ZAKAT SERT À COMBATTRE L’INDIGENCE
Nombre de personnes nanties ne respectent pas la zakat, malgré qu’elle soit exigée. Des religieux interrogés dénoncent ce manque de solidarité avec les plus démunis.

« Ô Peuple (…) donnez votre richesse en zakat». Cette apostrophe fait partie du dernier sermon de Mouhamed (Psl) prononcé dans la vallée d’Uranah sur le Mont Arafat. Dans le Coran, le mot zakat est revenu plusieurs fois par le biais des sourates. Et ces invites servent à « purifier la fortune des riches» d’après le livre intitulé « La jurisprudence claire », à la page 55.

Lors de la fête de la Tabaski de l’année dernière, Khaly Ousmane Gaye, Imam ratib d’une mosquée de Thiès, avait déclaré que « si nous étions (vraiment) solidaires envers nos prochains, l’on n’aurait même pas besoin de distribuer la zakat », vu son caractère obligatoire.

Trouvé ce mercredi 23 avril à son domicile, Imam Ousmane Ndao soutient ceci : « le Prophète combattait la pauvreté grâce à la distribution équitable de la zakat ; il y avait, dans les années 80-90, des maisons dites « Baytoul Maal » ou communément appelées « Zakat House » au Sénégal. Mais, elles sont quasiment inexistantes  depuis que la guerre du Koweït a éclaté ».

A en croire Imam Ndao, avec la méthode de Seydina Mouhamed (Psl), les démunis se rendaient en toute discrétion dans ces foyers pour bénéficier de soutiens uniquement réservés aux nécessiteux. « Ce qui favorisait la diminution de la mendicité. Je demeure convaincu que la zakat peut lutter contre l’indigence. Par souci d’entraide, nous pouvons vivre grâce aux bienfaits d’Allah. Les riches ne doivent pas manger tout ce qu’ils ont entre leurs mains ; c’est une obligation d’aider les pauvres », prêche l’Imam de la grande mosquée de Soprim extension.

Alors que le Pr Abdou Aziz Kébé, en avril 2011, lors d’une cérémonie de dédicace tenue à l’Ucad, soutenait que le Prophète Mouhamed (Psl) avait érigé un Etat unificateur et une économie rationalisée sur la zakat.

Par Serigne Mansour Sy CISSE

 

FONDS SÉNÉGALAIS DE LA ZAKAT : UN EXEMPLE DE STRUCTURE CHARGÉE DE GÉRER L’AUMÔNE
Le Fonds Sénégalais de la Zakat (Fsz) créé en août 2009 est chargé de collecter et de distribuer la « zakat » (mot arabe qui traduit le troisième des piliers de l'islam. Le musulman est en effet tenu de calculer chaque année lunaire un montant et de le donner aux plus pauvres).

« Des Sénégalais imbus de cette valeur ont mis en place le Fsz. Depuis la naissance de la structure, nous avons réalisé plusieurs actions de solidarité qui se sont traduites par des journées de distribution de la zakat», renseigne Bakary Bathily, coordinateur administratif au Fonds Sénégalais de la Zakat.

A la question de savoir si les Sénégalais sont de grands donateurs, M. Bathily relève  que l’approche doit être nuancée. « Certes, la majeure partie des Sénégalais est plus enclin à donner quotidiennement 100 Frs qu’à faire la zakat annuelle. Cela est toutefois dû au seuil de revenus. Il est clair que tout le monde n’est pas en mesure de donner la zakat au vu des faibles revenus», reconnaît-il.

L’autre aspect qui amène parfois le public à ne pas faire d’offrandes découle du fait qu’il n’y a suffisamment pas de structures organisées pouvant procéder au partage et à la distribution équitable de ces dons. « Si les gens sont persuadés qu’il y a une structure bien organisée, ils n’hésiteront pas à faire des donations.  N’oublions pas que la zakat est une recommandation religieuse», rappelle M. Bathily. La communication doit être davantage instaurée pour que les Sénégalais connaissent mieux le Fond Sénégalais de la Zakat, souligne-t-il.

Par Oumar BA

DR HADIYA TANDIAN, SOCIOLOGUE : « CERTAINS SÉNÉGALAIS DONNENT L’AUMÔNE POUR ATTIRER SUR EUX LA PROTECTION ET LE SCEAU DU SURNATUREL »

Les Sénégalais entretiennent des rapports ambigus avec l’aumône. Mysticisme ou souci de se conformer à une recommandation de la religion ? Le sociologue, Dr Hadiya Tandian, essai de percer le mystère.

Quels sont les rapports des Sénégalais avec l’aumône ?
Plus qu’un geste, l’aumône est un rituel religieux qui est lié à l’âme des sociétés. C’est une institution sociale qui se pratique depuis des millénaires et se définit comme un don charitable fait aux pauvres ou aux nécessiteux. Les Sénégalais qui sont de religion musulmane, chrétienne ou traditionnelle, pratiquent régulièrement l’aumône. C’est une pratique ancrée dans les mœurs par des supports moraux qui, solidairement, la soutiennent et la perpétue. Les gens qui ne la pratiquent pas sont reconnus comme pingres. Dans l’univers mental de la plupart des Sénégalais, l’aumône occupe une place prépondérante. Selon les représentations sociales, elle protège, exorcise et se constitue en carapace contre les dangers, les fléaux, les méfaits et les sorts contre lesquels la société se prémunisse. Au réveil, chaque adepte de l’institution se dédouane de ses contreperformances, triomphe de ses rivaux et accroît ses chances en offrant un bien en guise d’aumône. Cette pratique a d’autant plus d’emprise sur les esprits qu’elle est recommandée par la religion. Or, toute institution qui a pour socle la religion est régie par des normes fixées ou non. Le sentiment religieux étant énorme dans le cœur de la plupart des Sénégalais, il en ressort que leur attachement à cette institution ne sera que croissante.

Pourquoi les riches préfèrent-il donner l'aumône plutôt que faire du mécénat ?
On peut aborder cette question de deux façons. D’une part, il faut noter qu’une société produit des institutions qu’elle protège, soit par les normes religieuses et sociales, lesquelles sont protégées en retour par la collectivité ; ou bien elle soumet la société politique à la puissance sociale. Ainsi les valeurs sociales sont organisées et données comme institutions de l’Etat politique. Dans ce cas alors, l’Etat doit se poser la question suivante : comment doit-on organiser ces pratiques en lois et en mœurs ? Cela permet de mettre en adéquation la marche de l’Etat à celle de la société. Donc tous les goûts, tous les monuments, toutes les passions, toutes les facultés s’organisent les uns en rapport avec les autres pour permettre aux individus d’avoir des pratiques objectivement mesurables et praticables. D’autre part, lorsqu’il existe une déchirure entre les mœurs sociales et les méthodes qui les gouvernent, les gens prennent des goûts désordonnés, ils ne sont pas disciplinés, car aucune référence ne précède l’élaboration de leurs opinions, ils n’en feront qu’à leurs têtes. Dans une telle situation, il est difficile de donner des goûts aux gens et les pratiques se soumettent plus à l’arbitraire des individus qu’à des orientations pédagogiques claires et objectives. C’est le cas de notre pays, l’état social et l’état politique n’y ont pas les mêmes goûts. Notre société connaît le mécénat, mais pas comme il est admis dans d’autres pays. C’est un goût moins présent chez les pratiquants de l’institution, le mécénat va avec la structure d’une société où la bureaucratie, c’est-à-dire la rationalisation des manières de faire, de penser et d’agir est très poussée. Or, jusqu’à présent, chez nous, la citoyenneté, malgré l’âge de nos états, est un sentiment qui gît encore dans son berceau. Donc, à mon avis, les deux pratiques n’ont pas la même base sociale, la première serait liée aux mœurs sociales, se rencontre dans les milieux où le contrôle social est de type communautariste ; alors que la seconde, quant à elle, apparaît dans une certaine organisation sociale où l’effet de la division sociale du travail a fini par transformer les individus en actionnaire social, où l’on investit au sens capitaliste du terme.

Cela ne relèverait-il pas plus du mysticisme que d’une volonté de se conformer à une recommandation ? 
L’attachement de la plupart des Sénégalais à la pratique de l’aumône procède d’une volonté d’attirer sur soi la bénédiction, la protection et le sceau du surnaturel. Il peut donc provenir d’une communion avec le monde mystique où les forces du bien combattent celles du mal. L’aumône vient comme bouclier pour ceux qui veulent triompher d’un challenge, vaincre une peur, relever un défi, laver un affront, faire échouer un plan, ou désarçonner un arc, etc.

Pourquoi, selon vous, certains riches ne feraient pas des « libéralités » pour construire, par exemple, des postes de santé ou soutenir de grands malades au lieu de petites aumônes le matin en allant au travail ?
Je pense que si notre société avait le souci de mieux s’organiser pour l’épanouissement de tous, du moins de la plus grande masse, de telles questions ne se seraient pas posées. Il y a quelques actes de ce genre faits par des associations d’émigrés, par des ressortissants ou des bénévoles ; mais ils sont largement insuffisants. On aurait pu parer à ce dysfonctionnement si notre Etat avait pensé à l’organisation du don, en créant des zones de captage et de redistribution normales. C’est possible, mais il faudrait une réelle volonté pour penser une organisation sociale adéquate. Pour cela, il faut que la loi s’occupe de tous nos actes, elle doit se prononcer sur l’ensemble de nos mœurs, jusqu’aux moindre détails, et, ne laisser aucun espace à l’arbitraire.
Propos recueillis par 

Elhadji Ibrahima THIAM

SOURCE: http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=39685:pourquoi-les-riches-preferent-laumone-au-mecenat&catid=78:a-la-une&Itemid=255

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