Les Universités publiques sénégalaises renouent avec les démons de la violence. Et les nouvelles perturbations qui y ont été enregistrées ces derniers jours ne doivent en principe surprendre personne d’autant plus que nous sommes à quelques encablures des élections locales. Des échéances qui mettent tout ce que le Sénégal compte d’acteurs politiques et leurs apprentis en mouvement.
Un beau prétexte alors pour faire sortir les nostalgiques des guerres de positionnement politique et leurs alliés des bunkers dont les universités sénégalaises constituent de meilleurs exemples depuis l’aube des indépendances.
Ignorer une telle réalité serait un mal qui pourrait ronger à mort tout régime politique en place au Sénégal. Toute chose qu’auront comprises les acteurs politiques de la première alternance pour avoir fait des étudiants, à la fois leurs premiers alliés et leurs bras armés, à travers leurs organisations parmi lesquelles, l’ancienne Coordination des étudiants de Dakar (CED) qui contrôlait quasiment tout mouvement sur le campus universitaire.
Ces derniers qui avaient bien assimilé l’expérience des étudiants affiliés à l’Union progressiste sénégalaise (Ups) sous Senghor l’ont appliqué avec succès sous le régime socialiste d’Abdou Diouf qu’ils n’ont cessé de harceler jusqu’à sont départ du pouvoir en 2000. La force politique émergente des universités publiques sénégalaises constitue une arme politique de taille pouvant servir soit à fortifier, soit à combattre tout pouvoir en place. Ce que les autorités de la seconde alternance politique semblent naïvement ignorer en croyant qu’avec leur bonne foi, chantée derrière le slogan de la rupture, ils peuvent gagner la sympathie de tous y compris les étudiants dont le seul intérêt résiderait dans la poursuite de leurs études. Ce qui n’est justement pas le cas. Dès lors la seule alternative c’est d’anticiper sur tous les prétextes aux violences et aux perturbations universitaires.
Les périodes à risques dans les Universités
Il est connu de tous les observateurs de l’espace universitaire qu’il y a des périodes considérées comme à risques dans les universités. Ils sont de 3 voire de 4 ordres.
Le premier moment se situe entre la période des inscriptions et les deux premiers mois de cours. Dans ces périodes, les étudiants sont essoufflés et désorientés par les va-et-vient pour le retrait des formulaires d’inscription, les visites médicales, les inscriptions, les codifications…, etc. En sortant parfois fatigués de ces épreuves et souvent sans le moindre sou pour leur survie, parce que n’ayant jamais imaginé connaitre ce genre de gymnastique une fois à l’université, les étudiants sont également totalement découragés par les conditions d’accueils et d'étude. Certains d’entre eux peuvent rester deux voire trois mois sans comprendre quelque chose des cours souvent dictés par des profs peu soucieux de savoir s’ils ont compris ou pas. Ainsi, dès les premiers mois, la moindre occasion peut provoquer une étincelle dans les campus.
Le deuxième moment à risques se situe entre le 2éme mois de cours et le paiement des premières bourses. Il est bien évident qu’un étudiant issu d’une famille paysanne des fins fonds de Kédougou ou de Casamance qui atterrit à l’Université avec l’espoir de percevoir sa première bourse et de rembourser son billet de transport ou le coût de son pantalon et chemise neufs achetés à crédit pour mieux se présenter en ville, a du mal à attendre 5 à 6 mois avant de savoir s’il est boursier ou de percevoir son pécule. Si à ces difficultés s’ajoutent des problèmes d’hébergement, de transport et de restauration, l’étudiant n’hésite pas à s’allier avec le premier agitateur qui appelle à la révolte. Mécontents de leur sort, ils fustigeront le pouvoir en place sans parfois connaître toutes les motivations de ceux qui appellent à la révolte.
Le troisième moment à risques se situe à la veille des premières évaluations appelées autrement les partiels. En effet, un étudiant qui a vécu des moments difficiles avant de voir se stabiliser sa situation d’hébergement, de restauration et de déplacements quotidiens entre la Fac et le domicile de son tuteur, a du mal à apprendre grand chose lui permettant d’affronter les examens. Ayant des difficultés à recopier ou à photocopier tous les cours perdus, les étudiants des premières années deviennent ainsi la proie facile des vétérans de l’Université qui ont plus le statut de plénipotentiaire de leur formation politique que celui de simples étudiants.
Le quatrième moment à risques c’est quand il y a des élections des Amicales dans les différentes facultés. Chaque liste cherchant à contrôler une Amicale. Les enjeux politiques et financiers (quotas de chambres à vendre à prix d’or), sont si importants que certains sont prêts à y laisser leur vie. A l’occasion, se forment des tendances dont la plupart est soutenue par des formations politiques soucieuses d’avoir l’œil sur la vie des campus universitaires en tant qu’important vivier politique. Dans ces moments de joutes électorales dans les universités, les tensions sont vives et c’est le règne de l’insécurité. Comme des cartels de drogues en Amérique latine, des groupes armés s’affrontent de jours comme de nuits. Agissant sous la bénédiction des mentors politiques, ils bénéficient de la part de ces derniers, de nombreuses largesses qui laissent des envies dans leur milieu.
La proximité des élections, un facteur aggravant
Les universités sénégalaises qui sont devenues, à cause du niveau de politisation des étudiants, les premières circonscriptions électorales en chandelle du pays, n’ont jamais été laissées en marge des activités des partis. Ilots de grandes concentrations des mécontents ou des relais d’une certaine opposition, les perturbations dont elles sont l’objet n’ont jamais un caractère neutre par rapport à la vie politique du pays. A y regarder de près, les mouvements de contestations et de grèves visent souvent à encadrer le jeu politique, particulièrement celui de l’opposition. Et en ayant conscience que ces activités peuvent rapporter gros (facilités d’accès à la bourse, à la chambre…), et de mener loin dans les sphères de l’Etat, certains étudiants s’adonnent plus à la politique qu’aux études. Ils veulent suivre certains de leurs aînés devenus aujourd’hui milliardaires et hommes d’Etat sans avoir une seule fois répondu présent dans un quelconque service avant leur nomination à des postes ministériels, député ou directeur de société. C’est pourquoi, nombreux sont les étudiants issus des universités sénégalaises à investir les listes des locales.
Les erreurs du pouvoir en place
Même si le pouvoir en place refuse de rééditer les expériences de l’ancien régime, celles de se créer de puissants relais au sein des universités, il aurait tout de même, après les concertations sur l’avenir de l’enseignement supérieur, dû mettre en place un dispositif efficace de prévention des perturbations dans l’espace universitaire. Car personne ne peut comprendre que les autorités veuillent attendre la fin du premier semestre pour publier la liste des boursiers. Et à quoi devront-elles en fait servir ces bourses si ce n’est d’aider à faciliter les conditions de travail et de réussite des étudiants. Et pourquoi également, avoir attendu que l’espace universitaire soit mis sens dessus dessous pour commencer à payer les bourses et annoncer la décision d'augmenter celles des passants ? C’est dire que tout ceci pouvait être fait ou annoncé avant qu’on en arrive à cette situation de chaos créée par les affrontements entre étudiants et forces de l’ordre. Aussi, payer les bourses aussitôt après ces événements forcera la conviction des étudiants que désormais il faut toujours manifester vigoureusement pour avoir gain de cause. Dans ces conditions le ton de fermeté des autorités ne semble plus avoir sa raison d’être.
La maturité des étudiants en question
Confrontés souvent à d’énormes difficultés pour leur survie, les étudiants sénégalais sont devenus, malgré eux, la proie facile des acteurs politiques. Ces derniers en font leurs bras armés quand ils veulent conquérir le pouvoir. Ainsi les étudiants cassent, brûlent, séquestrent… pour ensuite aller en prison. Et les dégâts sont payés par les impôts de leurs parents qui suent sang et eau pour payer leurs profs et entretenir les universités. Ils oublient que ceux pour qui ils luttent se la coulent douce dans leurs salons feutrés après avoir planqué des milliards dans les banques étrangères au profit du bien-être de leurs fils, petits et arrières petits fils.
Toute chose qu’ils ne peuvent comprendre si les autorités n'ont pas engagé une communication dynamique autour de la participation citoyenne de l’étudiant à la sauvegarde du bien public et la lutte contre l’injustice sous toutes ses formes. Mais aussi sur ce qui est attendu d’eux pour faire du Sénégal un pays émergent.