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«Les classements du Sénégal sur les instruments de mesure de la corruption se sont améliorés du seul fait de la peur générée par la traque»

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«Les classements du Sénégal sur les instruments de mesure de la corruption se sont améliorés du seul fait de la peur générée par la traque»

L'OBS - Dans cet entretien, Mouhamadou Mbodj, coordonnateur du Forum civil fait une analyse sans complaisance de l’état de la corruption au Sénégal qui connaît un léger mieux depuis le lancement de la traque des biens mal acquis prôné par le régime actuel. De l’Ofnac aux marchés de gré à gré en passant par la révélation du journaliste Cheikh Yérim Seck sur un supposé financement alloué aux leaders de Benno Bokk Yaakaar par le président de la République, rien n’échappe à l’œil critique du «gardien» de la transparence et de l’impunité au Sénégal.  

Si vous deviez nous faire le bilan des deux ans de Macky Sall à la tête du Sénégal, que diriez-vous ?

Il faut reprendre le contexte d’arrivée au pouvoir de Macky Sall pour comprendre les enjeux. Ce contexte  faisait suite à 12 années de gouvernance très problématiques où tous les outils de mesure de la corruption amenaient le Sénégal au rouge. Le Sénégal en est arrivé à ce niveau à cause du changement de modèle de gouvernance. On a quitté un modèle idéal de gouvernance où le Sénégal était un modèle de démocratie et Abdoulaye Wade est arrivé. Il y a eu une instrumentalisation des institutions étatiques à partir d’un concept qu’on appelait gestion néo-patrimoniale. A un moment, les intérêts des groupes particuliers ont envahi la sphère publique et il y a eu une hyperpersonnalisation du pouvoir avec une hégémonie de l’Exécutif. Voilà le contexte historique d’émergence du pouvoir de Macky Sall. Pour reconstruire ce système de gouvernance, il faut retravailler les institutions, d’où l’enjeu de la proposition de réformes de la Commission nationale de réformes des institutions (Cnri) qui devait rapprocher les propositions de réformes politiques et les Assises nationales. Et, cette question n’est pas encore réglée. Le Président a dit son intention de s’en occuper après les Locales. La réforme des institutions reste donc un défi encore après deux ans de pouvoir. Le deuxième élément a, à voir avec la domiciliation de la Justice et du Parlement. Ce dernier n’est pas sous contrôle pour des raisons objectives, c’est une coalition de coalitions qui est au pouvoir. Le Parlement reste encore un espace de liberté, il faut juste plus d’audace aux députés pour occuper cet espace. La troisième institution, c’est la Justice. En instaurant la traque, Macky a rétabli la crédibilité de cette institution. On peut discuter sur les outils et les instruments juridiques utilisés dans ce contexte, mais aujourd’hui, la justice fonctionne avec les moyens qu’elle a. En exemple, la Crei (Cour de répression contre l’enrichissement illicite) qu’Abdou Diouf avait laissée sur place et qui a toujours cours malgré ce qu’on en dit. Pour ce qui est de la corruption généralisée, Macky a instauré la traque qui a créé la peur chez ceux qui sont en position de gestion des deniers publics. Les classements du Sénégal sur les instruments de mesure de la corruption se sont améliorés du seul fait de la peur générée par la traque.

La création de l’Ofnac et la nouvelle loi sur la déclaration de patrimoine ne constituent-ils pas de bons moyens pour freiner la corruption et les détournements de deniers publics ?   

Avec l’installation de l’Ofnac (Office national de lutte contre la fraude et la corruption) et la Loi sur la déclaration de patrimoine, on commence à produire des réponses pour freiner les prélèvements des ressources publiques, les détournements, la corruption et le système de redistribution. On peut mesurer le mécontentement de la clientèle politique qui recevait cet argent à travers leurs sorties au vitriol dans les médias et leur créativité autour du concept «Deuk bi dafa Macky». L’Ofnac est à apprécier dans le cadre de la stratégie de lutte contre la corruption. Si l’on examine les stratégies les plus efficaces de lutte contre la corruption dans le monde, on leur trouve trois dimensions: normative, juridique et adéquate. Il faut des lois, il faut des règlements, il faut des institutions spécialisées pour arriver à résoudre le premier défi sur la corruption. Il faut aussi travailler les comportements des acteurs du système d’intégrité, c’est l’administration publique, c’est le Parlement, c’est le système judiciaire et ce sont les organes de contrôle. C’est le système judiciaire qui doit appliquer ces lois et lutter contre les cas avérés de corruption. Et le 4e acteur, ce sont les organes de contrôle qui font les investigations sur les cas de corruption. Ces organes de contrôle sont l’Inspection générale d’Etat, la Cour des comptes, la Centif (cellule nationale de traitement de l’information financière) et l’Ofnac (Office national de lutte contre la fraude et la corruption), etc. plus des organes de contrôle interne des ministères. Il y a des acteurs qui ne relèvent pas du secteur public, mais du secteur privé international et national qui corrompent. Ce secteur est constitué des entreprises des pays classiques et qui coopèrent avec le Sénégal comme l’Allemagne, la France, les Etats-Unis et les pays du Bric (Bruxelles, Russie, Inde et Chine). Ces pays importent la corruption. En plus des medias et la société civile qui jouent le rôle d’alerte. Voilà les acteurs du système d’intégrité. Le 2e défi stratégique, c’est qu’il faut que les comportements de tous ces acteurs prennent en compte le nécessaire engagement pour lutter contre la corruption. Est-ce le cas en ce moment ? Non ! Parce que le travail de l’Ofnac, de la société civile et les lois qu’on va prendre vont avoir un effet dans les 5 années à venir. Mais, il faut aussi y ajouter la nécessité d’impliquer les jeunes générations à partir du système éducatif.

Donc l’effet de ces institutions de lutte contre la corruption ne peut pas se ressentir pour le moment ?

Ni maintenant ni dans 7 ans. Mais, la tendance va être bonne si l’on est dans le bon tempo. Macky Sall veut prouver l’efficacité de sa démarche gestionnaire, mais leur grand problème se trouve dans la temporalité de son mandat. Il y a des dispositions qui affaiblissent les lois prises par Macky. Je donne l’exemple de la déclaration de patrimoine à laquelle les députés ne sont pas assujettis alors que le Parlement reste un enjeu de lobbying pour influer sur les lois.

Justement, la loi sur la déclaration de patrimoine est au cœur des débats…

Nous ne partageons pas l’argument de l’Etat qui dit que si l’on soumet trop de gens à la déclaration de patrimoine, l’Ofnac sera submergé alors qu’on peut aussi donner à l’Ofnac les moyens comme de recruter du personnel et de couvrir l’ensemble du territoire national. C’est une question de volonté politique. Il y a deux autres éléments que nous développons parce qu’ils ne sont pas pris en compte par la loi. La loi cible les détenteurs de responsabilités dans la gouvernance financière (les ordonnateurs et les administrateurs de crédits). On dit, si une institution a un budget de plus d’un milliard, il y a un seuil de tolérance. Ceux qui ont un budget de 900 millions, ils s’exposent à un risque de corruption sans contrôle. C’est ce seuil de tolérance qui gêne. Nous, on a un seuil où presque l’on tolère la corruption. C’est la faiblesse dans la loi sur la  déclaration de patrimoine. Il y a aussi un 3e facteur. Quand vous donnez un contrat minier à une société minière, les risques de corruption sont plus élevés que quand vous gérez un budget. Ces gens-là doivent être soumis à la déclaration de patrimoine. Entre l’esprit de la directive de l’Uemoa et la loi du Sénégal, il y a un décalage. Le gouvernement va procéder à une évaluation au bout de 3 ans, mais globalement, la loi est positive. C’est une loi révolutionnaire. C’est une loi préventive. Elle prévient la corruption. Elle est moins coûteuse que les lois qui répriment la corruption.

Pour en revenir à l’Ofnac, pourra-t-il mener à bien la mission qui lui est assignée ?

L’Ofnac a des pouvoirs que n’avait pas la commission mise en place au temps du régime libéral. L’Ofnac a le pouvoir d’auto-saisine et d’investigations. Il peut saisir directement le Procureur. Il a été doté d’énormes pouvoirs pour mener à bien sa mission.

«Les nominations à l’Ofnac posent problème»

Il est dotée d’énormes pouvoirs, mais il doit bien cacher des faiblesses ?

Son point faible se trouve dans la nomination des membres qui la composent. Il y a une bonne présidente, mais surtout des nominations politiques. Les nominations à l’Ofnac posent problème. Abdou Latif Coulibaly, le ministre de la Bonne gouvernance avait annoncé, lors de leur nomination, qu’avant leur prestation de serment, ils allaient démissionner de leurs fonctions partisanes. Je me demande si cela a été fait. Il faut qu’on informe l’opinion et ainsi, on saura si cela a été respecté. Cela participerait à donner plus de crédibilité à cette institution. Aujourd’hui, on a un gouvernement Benno Bokk Yaakaar. Il y a des gens du Parti socialiste dedans. Si demain, le Ps a des problèmes avec la coalition et qu’on envoie l’Ofnac dans des structures qui étaient gérées par l’Ofnac, on peut soupçonner des règlements de comptes politiques. Cela peut-être le cas de l’Alliance des Forces pour le progrès (Afp) ou de la Ligue démocratique (Ld). Les membres de l’Ofnac doivent être à équidistance des forces partisanes. Nous sommes opposés à des nominations de ce type. On peut créer, pour venir en appoint à l’Ofnac, une unité spéciale de lutte contre la corruption au sein de la police. Et on nommerait à sa tête un magistrat qui va contrôler ceux-là qui vont travailler en étroite collaboration avec l’Ofnac.

On sait que les marchés de gré à gré constituent un véritable problème au Sénégal…

Macky a le Programme Sénégal Emergent (Pse) et sa vingtaine de projets prioritaires. Il a les contraintes des procédures de gestion des projets. L’opérationnalisation des accords de Paris avec les espérances des Chinois demandera un temps de préparation. Il est en train de s’y atteler, il faut un mode de suivi-évaluation, il faut un mode d’adaptation de la mobilisation des ressources des bailleurs, du crédit donné par les bailleurs. Comment cela se fera ? Chaque bailleur a ses procédures, le taux d’absorption du crédit dépend de cette multiplicité, cette diversité des bailleurs et de leurs procédures. Est-ce que ce sont des projets qui sont distribués dans les secteurs qui vont les gérer ? C’est une agence spécifique d’exécution du Pse ou ce sont des ministères ? C’est le Premier ministre qui conduit la politique du gouvernement. Est-ce qu’il faut une agence spécifique comme il a créé le Bureau du suivi-évaluation ? Il faut élaborer la méthode du suivi-évaluation. Sur un an, c’est le premier défi avant la mobilisation. On va par la suite lancer les appels d’offres, un appel à concurrence pour les projets chinois qui relèvent d’une démarche spécifique. Maintenant, les marchés de gré à gré, la commande publique sont une directive de l’Uemoa sous Wade. On peut adapter la valeur transparence dans la gestion des affaires publiques aux contraintes de temporalité et de difficulté de procédures liée à un besoin de résultat immédiat par Macky Sall. Il avait entamé ce dialogue avec les secteurs privés, la société civile, l’autorité de régulation des marchés et la Dcp. Il faut revenir à ça et il faut revenir aux vertus de la communication. Il faut que Macky partage ses contraintes avec les acteurs, il faut qu’il dialogue et qu’il fasse comprendre que la valeur transparence est une valeur de la société. La valeur efficacité, recherche de résultats est une exigence de notre société. Les citoyens n’attendent pas seulement les réalisations des infrastructures. Si l’on reprend le modèle Wade qui avait fait la même chose, on a une belle corniche, mais cela a coûté combien ? Idem pour l’autoroute. Les gens ont été scandalisés par les coûts énormes de ces infrastructures que par leur utilité. Les infrastructures oui, mais à des coûts raisonnables. Il ne faut pas ouvrir par des raccourcis la voie de la corruption. La transparence est devenue une valeur de notre société. Il y a un début de frémissement, mais il faut maintenir la dynamique des réformes sur la gouvernance et la corruption.

NDEYE FATOU SECK

source: http://www.gfm.sn/actualites/item/13365-les-classements-du-senegal-sur-les-instruments-de-mesure-de-la-corruption-se-sont-ameliores-du-seul-fait-de-la-peur-generee-par-la-traque.html